"J'ai mille" personnes pour la démocratie

Non, ceux qui ont lancé le “G1000” n’avaient pas mille idées pour la démocratie, ils n’en n’avaient qu’une, mais une énorme : faire parler efficacement mille personnes représentatives du “peuple” belge sur leur gouvernance et leur société ! Un rejet de la démocratie actuelle ? Non, car la Belgique jouit déjà d’une démocratie de bonne qualité. Mais un ajout d’importance à la pratique démocratique actuelle qui peut la rendre bien plus satisfaisante.

Comment naissent les grandes choses ?

En janvier 2011, Paul Hermant, éditorialiste dans les médias francophones, et David Van Reybrouck, bien connu en Flandre, notamment pour son époustouflant Congo. Eén Geschiedenis,1 discutent presque fortuitement de la situation politique dans un bistrot à Bruxelles. La démocratie a perdu son élan, elle s’essouffle, ses structures rigidifiées sont distantes des personnes gouvernées, et pas seulement en Belgique. Puis, un groupe se crée, le diagnostic se partage, la vision de “démocratie élargie” progresse. Une asbl est créée parce qu’on veut “agir”, et pas seulement écrire, il faut donc exister. De fil en aiguille, on articule un programme qui commence par un site internet, qui vise une journée “sommet citoyen” le 11 novembre et qui prévoit, en troisième étape, un rapport de citoyens au pays pour le printemps 2012. La vision large et ce programme concret sont incroyablement vite partagés par tous ceux qui l’approchent.

Le 14 juin, le G1000 fait son “coming out” sur les ondes, à la télévision et les médias, au nord, au sud et à l’est du royaume. En quelques jours, le manifeste du G1000 est signé par plusieurs milliers de personnes. L’approche est simple : allez lire le manifeste sur le site,2 signez-le si vous êtes d’accord, envoyez vos propositions à débattre le 11 novembre prochain par mille Belges, choisis au hasard dans tout le pays, contribuez au cout de l’opération estimé à 465 000 euros, engagez-vous comme volontaire pour l’une ou l’autre des tâches listées ; il y a beaucoup à faire. Attention : il n’y a personne derrière nous, ni partis politiques, ni lobbys constitués, pas de publicité, pas d’intérêts économiques ou sociaux. Tout est fondé sur une double conviction : la “démocratie élargie” est une attente de la population, c’est une nécessité, un besoin et un potentiel, et il y a surement chez nous les milliers de bonnes volontés que cette vision peut mobiliser. La suite a montré au-delà de toute attente qu’ils avaient bien raison.

Qu’est-ce qu’ils veulent faire ?

Le manifeste du G1000 est bien fait. Il arrive à son objet en expliquant comment il rencontre le déficit démocratique actuel : la façon de vivre, la technologie, les moyens et les attentes des peuples à gouverner dans nos démocraties ont fort changé depuis l’établissement de la démocratie représentative au XIXe siècle. Particulièrement pour ce qui est du gouvernement des peuples, les nouvelles technologies de la communication ont transformé aujourd’hui le contexte et les raisons mêmes du choix de la “démocratie représentative” à l’époque : les trains à vapeur, sinon les diligences, les linotypes, les télégraphes et les premiers balbutiements radiophoniques ont en quelque sorte forcé ce compromis entre l’idéal de la démocratie directe et le matériellement possible au travers de représentants élus. Sans du tout revenir pour autant à la démocratie directe du soi-disant “âge d’or” athénien, le manifeste du G1000 soutient que la “démocratie délibérative”3 peut venir compléter, améliorer, enrichir le système représentatif existant et engendrer une plus grande satisfaction citoyenne au travers d’une participation accrue à un système politique ainsi rendu plus efficace.

Le but n’est donc pas de se substituer au système représentatif, mais de le compléter par un lieu de débat en amont des instances de pouvoir et de décision (Parlements, gouvernements), une “antichambre” où les grandes questions peuvent être discutées pour elles-mêmes, évitant au départ la compétition de pouvoir entre partis et sans attribution de responsabilités pour l’exécution, de telle sorte que les instances formelles de la démocratie représentative et des partis, sachent dans quel sens va la vox populi sur les grandes questions de bien commun.

En quelques semaines, le site du G1000 reçoit plusieurs milliers de propositions à traiter. Elles ne sont pas rendues publiques, mais analysées, groupées et synthétisées par une équipe du G1000. Cela permet de définir les quelque trois ou quatre grandes questions qui pourront être débattues le 11 novembre et servir de base de travail aux trente-deux volontaires (“G32”), choisis parmi les “1 000” qui poursuivront le travail après le 11 novembre.

Mobilisation efficace d’un volontariat spontané

Au cours de l’été, les volontaires enregistrés sur le site s’attèlent à différentes tâches : des groupes de sensibilisation et de mobilisation dans le pays, un joyeux stand dans les rues de Bruxelles le 21 juillet. En septembre une entreprise de sondage, indépendante, commence le travail de sélection aléatoire de mille citoyens dans toute la Belgique “comme on fait pour avoir des prévisions électorales”. Ceux qui répondent “oui, d’accord pour venir le 11 novembre” sont ensuite contactés par des volontaires “ambassadeurs” qui expliquent plus en détail le pourquoi et le comment de la démarche. Par ailleurs, des centaines de bonnes volontés, très bien coordonnées et dirigées, s’adonnent à mille et une tâches logistiques : traiteurs, tapis, micros, réseau, internet, vote électronique, cent tables et mille chaises, recrutement et training de cent facilitateurs pour les cent tables. On met aussi sur pied un système de participation par internet à domicile (“GHome”) et des groupes “GOff” qui dans plusieurs villes du pays feront leur “mini-sommet citoyen”. Bref, un incroyable travail de volontariat par une asbl qui n’existait pas six mois plus tôt. Et sur ce plan aussi, tout fut impeccable.

Au matin du grand jour, ils sont pour finir un peu plus de sept-cents délégués présents à Tour et Taxis. Quelque mille-six-cents personnes ont été contactées, environ mille-trois-cent-cinquante ont répondu immédiatement “Oui, je viendrai” (l’eussiez-vous fait ?). Plus de neuf-cent-cinquante ont confirmé aux “ambassadeurs” qu’elles viendraient et plus de sept-cents sont venues passer leur journée fériée du 11 novembre à débattre de quatre grands thèmes. En bref, donc, une personne initialement contactée sur deux est venue. C’est un succès inouï pour une première du genre impliquant un tel engagement. La démocratie peut encore mobiliser beaucoup de monde en Belgique.

Le jour “J”

David Van Reybrouck et Paul Hermant accueillent en des termes résonnants, étonnamment simples et justes. Après explications diverses sur le déroulement de la journée et surtout sur le système de vote, on se met au travail. Trois grands thèmes ont été retenus : la sécurité sociale, la survie en période de crise, l’immigration et un quatrième thème qui sera choisi par l’assemblée. Chacun des thèmes est introduit, de façon informative et succincte, par deux “experts”, puis chaque table de dix, avec l’aide du facilitateur/interprète, débat sur ce thème en dégageant un certain nombre de problèmes, aspects, suggestions qui sont transmis après une demi-heure, au panel central. Celui-ci les présente sur le grand écran et chaque délégué, muni d’un petit appareil de vote à distance, donne ses deux, trois ou quatre priorités. Et on arrive ainsi à une priorisation des points de vue de l’assemblée. En parallèle, les “GHome” et les “GOff” forment une sorte de “cent et unième grande table” et participent via le réseau, débattent et transmettent leurs réflexions par le Net.

Il n’est pas possible de restituer ici ni les débats ni leurs résultats. Le G1000 s’est engagé à faire connaitre ses travaux de façon appropriée. Mais on peut déjà souligner deux ou trois choses. D’abord, la qualité des exposés introductifs sur chacun des thèmes : des petits bijoux succincts et pédagogiques. En second lieu, l’enthousiasme des participants. Ce qu’on a vu aussi, c’est l’étonnante maturité des discussions à chaque table avec une surprenante capacité d’écoute et d’attention. Enfin, on peut souligner l’étonnement admiratif du panel de huit observateurs internationaux qui n’avaient jamais vu un tel processus s’organiser spontanément dans la population sans aucun “patronage” d’autorités publiques.

La suite

Sur les quelque sept-cents délégués présents, trois-cents (!) se sont portés volontaires pour former le “G32” et poursuivre la réflexion pendant trois weekends de travail d’ici fi n avril 2012. Le “rapport au pays” du G1000 devrait sortir peu après.

À suivre donc, très attentivement, à soutenir chacun de ses moyens, ne fût-ce que par quelques euros, à analyser et à décortiquer bien plus en profondeur ultérieurement, à perpétuer
sans doute.

En attendant, retenez déjà ce constat d’un des facilitateurs lors du diner en fin de journée : “La conclusion de ma table, c’est que nous avons chacun appris une nouvelle façon de se parler en politique ; depuis ce matin, nous avons muté !” Rien que cela en valait déjà la peine, non ?

De bezige Bij, 2010, 680 p. Voir aussi la recension de l'ouvrage par Paul Géradin dans La Revue nouvelle d'octobre 2010. A paraître en avril 2012 en français chez Actes Sud.

www.g1000.org, ou encore, via Google : "G1000".

Que les politologues se chargent de dire, après plus ample analyse, de quelle épithète scientifi que précise il faut étiqueter la démocratie que poursuit le G1000 : délibérative, participative, consultative, élargie... ? Pour ma part, je reprends la terminologie utilisée dans le manifeste du G1000, sans aucune autre prétention ici que celle d'un témoignage sur "quelque chose qui se passe près de chez nous".

Published 31 December 2011
Original in English
First published by La Revue nouvelle 1/2012 (French version); Eurozine (English version)

Contributed by La Revue nouvelle © Paul Th. Grosjean / La Revue nouvelle / Eurozine

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