Interactions du technique et du social

Dispositifs numériques des puissants et des sans pouvoirs

Cet article compare deux types de dispositifs socio-techniques : les réseaux financiers électroniques et les mouvements de militantisme social localisé qui forment des réseaux mondiaux. Ils ont en commun de subvertir l’opposition mondial/national et chacun d’eux a modifié le paysage économique et politique au profit des élites financières ou des militants sociaux. Se référer à ces deux cas contribue à éclairer les manières contrastées par lesquelles le développement des réseaux électroniques transforme partiellement l’ordonnancement politico-économique existant. Ce sont des cas-limites, caractérisés l’un par l’hypermobilité, l’autre par l’immobilité physique. Mais ils nous montrent que chacun d’eux n’est que partiellement tel : les réseaux électroniques financiers sont sujets à des types particuliers d’encastrement et les mouvements militant localement peuvent profiter des potentialités électroniques nouvelles pour agir mondialement. Les réseaux financiers électroniques et le militantisme électronique ne révèlent pas seulement des développements parallèles associés à des propriétés techniques particulières des technologies numériques interactives nouvelles, mais nous révèlent aussi un troisième résultat, radicalement hétérogène, que nous interprétons comme signalant le poids des logiques sociales spécifiques des utilisateurs dans chacun de ces cas.

L’intention est de contraster deux types de dispositifs socio-techniques qui ont récemment cristallisé : les marchés financiers mondiaux à haute intensité numérique et, cas très différent, les acteurs sociaux locaux géographiquement dispersés, mais qui participent cependant de manière croissante à un espace articulé mondialement, bien qu’ils ne soient généralement pas en communication directe entre eux. Chacun de ces deux types de configuration entretient des relations variables et souvent complexes au territoire, à la loi, à l’État, à l’autorité et aux diverses espèces de pouvoirs. Nous mettons ici l’accent sur la dimension interactive, qui inclut des dispositifs aussi différents que les réseaux de transaction électronique et les listes de diffusion et les bulletins communautaires électroniques de base.1

Data fist tablet. Photo: GrandeDuc. Source:Shutterstock

Le thème organisateur est que ces types de systèmes techniques fonctionnent nécessairement comme autant d’éléments d’une matrice “consistante” qui rassemble toutes sortes d’acteurs, de buts et de formes de pouvoir ou d’absence de pouvoir. En d’autres termes, ces dispositifs socio-techniques peuvent être démembrées en “moments” numériques et non-numériques – il ne s’agit pas d’hybridation, car le numérique et le non-numérique maintiennent leur caractère propre et peuvent ainsi être étudiés séparément. Je préfère l’image de l’imbrication pour marquer le type d’interdépendance où chaque terme maintient sa spécificité. Cette imbrication est variable, pouvant aller d’imbrications très lisses – par exemple dans un flux de données – jusqu’aux formes consistantes et intenses que nous examinons dans cet article. Mettre l’accent sur ces imbrications consistantes nous conduit potentiellement à une version plus forte de cette proposition, savoir que les circuits d’interaction créés à partir d’échanges liés aux TIC engendrent une nouvelle “couche” au sein de l’ordre social, quelque chose qui renvoie aux communautés microglobales. Ce dernier terme ne vise pas seulement les financiers et les militants qu’envisage cet article, mais aussi bien un spectre large, et probablement en expansion, d’autres types d’acteurs.

Avec ce thème, nous avons conscience d’aborder des trajectoires qui évoluent rapidement. En dépit de l’antériorité limitée de ce champ de recherche, je dirais que développer ce propos nous fait assumer notre reconnaissance envers les générations antérieures de la recherche et de l’écriture critique qui indiquaient à titre embryonnaire ce qui ne devait devenir clairement visible que par la suite et était alors fréquemment récolté par d’autres vagues d’érudition. C’est ce que nous tentons dans les deux premières sections. Les quatrième et cinquième sections approfondissent les deux cas que nous présentons.

La construction des dispositifs socio-numériques

Les réseaux électroniques globaux ont engendré une large gamme de possibilités neuves pour divers types d’acteurs, possibilités qui vont bien au-delà de celles examinées dans cet article (Benkler 2006 ; Bollier 2009 ; Castells 2009 ; Mansell et al. 2009 ; Borgman 2010). La diffusion et le changement accéléré de ces réseaux ont pour effet d’interroger en permanence la validité de nos cadres conceptuels ordinaires. Cependant, au cours de ce processus se produit également une mise en lisibilité continue de traits génériques qui reviennent au long de ces phases de transformation, même si les formats et les potentiels changent. Je trouve que les caractères que je recherche dans cet article disposent de cette qualité de récurrence par-delà l’évolution des formats et des potentiels. Une partie de notre effort dans cette section consiste à identifier de telles récurrences parmi un large échantillon de recherches concernant les technologies numériques.

Une proposition fondamentale affirme l’importance de saisir la variété et la spécificité des “dispositifs socio-numériques” (Wajcman 2002 ; Latham & Sassen 2005, Introduction ; Benkler 2006 ; Lovink 2008 ; Bollier 2009), et par conséquent la possibilité de types d’articulation tout à fait neufs entre, d’une part, le pouvoir ou son absence, et, d’autre part, la capacité à s’internationaliser. La dynamique numérique nous a montré qu’elle pouvait délégitimer en partie la conception traditionnelle de cette alternative : ceux qui ont le pouvoir peuvent s’internationaliser, pas ceux qui manquent de pouvoir.

Centrons-nous sur les champs de l’interactivité numérique. Pour des raisons d’analyse, je distingue les capacités techniques des réseaux numériques des dispositifs socio-numériques plus complexes que ces champs d’interactivité constituent effectivement. Des mécanismes n’ayant par eux-mêmes que peu à voir avec la technologie interviennent pour requalifier les effets de réseau tels que les interactions distribuées – avec leur forte connotation de démocratie et de participation. Le fait de cette requalification par les logiques sociales des usagers et des acteurs numériques comporte des implications pour les pratiques politiques, y compris la gouvernance et la participation démocratique.

Les propriétés techniques du champ des interactivités numériques développent leurs fonctions à travers des écologies complexes qui intègrent des variables non-techniques, comme le social et le subjectif, et aussi les cultures d’usage propres aux divers acteurs. Nous pouvons nous représenter que ces écologies sont en partie modelées par les logiques sociales particulières encastrées dans des champs opposés.2 Si nous considérons le champ des interactivités numériques comme relevant d’une telle écologie, nous ne nous contentons pas de conditions techniques, mais faisons place à un ensemble de conditions et de pratiques sociales, en cela que des acteurs très divers aux buts bien différents peuvent se servir des mêmes technologies. L’une des questions que cela pose est de savoir s’il y a une rétroaction sur les aspects techniques eux-mêmes, par une ressemblance avec ce que nous décrivons comme “open-source” ou “libre” en matière de développement logiciel.

La technologie peut intégrer de multiples particularismes – ainsi ceux des divers centres financiers ou ceux des diverses organisations militantes – tout en les réunissant en un ensemble par le biais de dynamiques horizontales telles que, par exemple, la récurrence (i.e. le réseau mondial des centres financiers ou le réseau mondial de militants d’Amnesty International), et non d’une intégration verticale (Sassen 2008, chap. 7, 2012, chap. 4 et 5). La récurrence de conditions/situations fait de ces dispositifs un champ horizontal polycentrique. La vitesse accrue rendue possible par le numérique est ce qui pilote l’émergence de tels champs horizontaux polycentriques.

Les deux cas dont je me servirai pour développer ce point de manière empirique sont les réseaux financiers électroniques et les réseaux militants électroniques.3 Ces deux cas relèvent d’une dynamique mondiale et tous deux ont été significativement structurés par les trois propriétés des réseaux numériques – un accès décentralisé et des effets distribués, la simultanéité et l’interconnectivité. Mais ces propriétés techniques ont induit des résultats bien différents dans chaque cas (Sassen 2008, chap. 7). Dans un cas, ces propriétés contribuent à des résultats distributifs : une participation accrue d’organisations locales aux réseaux mondiaux. En cela, elles aident à constituer des espaces publics transgressifs ou des formes de mondialisation centrées sur de multiples variantes locales de luttes et de programmes. Dans l’autre, les mêmes propriétés ont en fait conduit à un niveau de contrôle et de concentration plus élevé du marché mondial des capitaux ; ce qui rend cela intrigant, c’est que ce résultat se produit en dépit du fait qu’à bien considérer les choses, la puissance des réseaux financiers électroniques se fonde aussi en une sorte de pouvoir distribué, ainsi par exemple les millions d’investisseurs répartis mondialement et prenant des millions de décisions individuelles.

Ces deux cas illustrent aussi un débat émergent qui porte sur l’extension avec laquelle la combinaison d’accès décentralisé et de choix multiples induirait des structures de pouvoir indépendamment des logiques sociales suivies par les utilisateurs. Si c’est ainsi, les organisations de la société civile pourraient bien produire des résultats comparables à ceux de la finance en ceci qu’un nombre limité d’organisations concentrerait une part disproportionnée d’influence, de visibilité et de ressources. L’une des manières d’aborder ce sujet consiste à le lier à la question des formats politiques (par exemple : Arquilla & Ronfeldt 2001 ; Benkler 2006 ; Dean et al. 2006 ; Tennant 2007 ; Mansell et al. 2009 ; Rainie & Wellman 2012). Nombre d’organisations de la société civile ont été soumises à des contraintes qui les ont orientées sur un format – voisin de ceux des entreprises respectant des règles conventionnelles d’engagement de leur responsabilité – qui les ont empêchées d’utiliser les nouvelles technologies de manière plus radicale.

Dès lors, je dirais que la finance parvient à échapper aux formats conventionnels quand deux acteurs des échanges (ou plus) fusionnent et créent ainsi une plate-forme en réseau qui leur permet de maximiser l’utilité des technologies de réseau (Sassen 2008, chap. 7 et 8). En ce sens, je dirais que la finance a nettement précédé la société civile dans l’usage des technologies de réseau. Elle a réellement inventé de nouveaux formats conformes à ses besoins : les plates-formes multi-sites en réseau, où chaque centre financier est un des nuds du réseau. Les organisations de la société civile ont rencontré toutes sortes d’obstacles sur leur route vers de tels types de combinaisons en réseau. À certains égards, elles ont été contraintes d’adopter la forme d’entreprise plutôt que celle de la plate-forme en réseau. Il y a là, selon mes analyses, une question politique qui figure parmi les variables qui contribuent à produire des dispositifs socio-numériques différentes même si elles se fondent sur des technologies de réseau similaires.

Compte-tenu de ses propriétés techniques, le champ du numérique interactif est par essence distribué. Mais pour peu que nous reconnaissions que des logiques sociales sont à l’uvre dans ce champ d’interactivité, rien ne garantit plus que l’effet distributif se produise à chaque fois. En politique, ce potentiel de distribution a conduit les commentateurs à dire que ces réseaux électroniques poussaient à des effets de démocratisation. Mais là encore, il faut y voir de plus près, tant cela dépend de la logique sociale (i.e du projet politique) qui conduit ce réseau. Une autre découverte qui va à l’encontre de bien des commentaires : j’ai constaté que plus la vitesse et le degré d’interconnexion du réseau de la finance globalisée sont élevés et plus essentielle est l’importance des systèmes informels de confiance et de la culture d’interprétation technique (Sassen 2008, chap. 7).

Numérique et pourtant rivé au sol

La condition de l’Internet en tant que réseau décentralisé de réseaux a nourri de fortes convictions sur son autonomie de principe relativement au pouvoir d’État et sur sa capacité à renforcer la démocratie depuis la base à travers le renforcement tant de la dynamique des marchés que d’une logique d’accès pour la société civile. Dans le contexte de nombreux changements partiels et spécifiques liés à la mondialisation, l’informatisation a contribué à l’ascendant et à l’accroissement du poids des niveaux infranationaux, comme la ville globale, et des niveaux supranationaux, tels les marchés mondiaux, là où le niveau national dominait jusqu’alors. Ces rééchelonnements ne s’opèrent pas toujours en parallèle des formalisations existantes du pouvoir d’État. De manière générale, ces développements interrogent la capacité régulatrice des États, tout comme ils font réfléchir au potentiel des réseaux pour subvertir l’autorité étatique telle qu’elle s’est constituée au siècle dernier.

Mais il y a des restrictions auxquelles même ces technologies n’échappent pas. Parmi celles qui firent l’objet de travaux depuis l’apparition de ce type de recherches, il y a le façonnage social de la technologie (par ex. Latour 1996 ; Bowker & Star 1999 ; Mackenzie & Wajcman 1999 ; Lievrouw & Livingstone 2002 ; Seely Brown & Duguid 2002 ; Coleman 2004), les limites de ce que la vitesse peut ajouter à un résultat (par ex. Mackenzie & Elzen 1994 ; Sassen 1999, EARLIER 2008, chapter 7), le rôle de la politique pour cadrer la communication (par ex. Mansell & Silverstone 1998 ; Dean 2002 ; Lovink 2002 ; Howard 2006 ; Imbert 2008), la fiabilité intrinsèque des choix techniques accessibles (par ex. Shaw 2001 ; Woolgar 2002 ; Chen & de’Medici 2010), et la segmentation au sein des espaces numériques (Lessig 1996 ; Monberg 1998 ; Sassen 1999 ; Koopmans 2004).

Dès lors, pour autant que la numérisation des instruments et des marchés était critique pour une croissance soutenue de la valeur et de la puissance du marché mondial des capitaux, ce résultat était façonné par des intérêts et des logiques n’ayant au fond que peu à voir avec la numérisation en soi. Cela met en avant la manière dont les marchés numérisés sont encastrés dans des dispositifs institutionnels complexes (par ex. Sassen 1991/2001 ; Mackenzie & Millo 2003 ; Knorr Cetina & Preda 2004), des cadres culturels (Pryke & Allen 2000 ; Zaloom 2003 ; Thrift 2005 ; Lovink & Dean 2010) et même des dynamiques intersubjectives (Knorr Cetina & Bruegger 2002 ; Fisher 2006). Et tandis que le pouvoir brut obtenu par les marchés de capitaux grâce à leur devenir numérique facilita également l’institutionnalisation de critères économiques soumis à la finance dans la politique nationale, jamais la numérisation n’aurait pu parvenir à ce résultat politique par elle-même – cela requérait des dispositifs institutionnels et des acteurs nationaux (Helleiner 1999 ; Pauly 2002 ; Harvey 2007 ; Sassen 2008, chap. 5 ; pour des cas dépassant le cadre des marchés financiers, voir Barfield et al. 2003 ; Waesche 2003 ; Bollier 2009).

Bref, le marché électronique supranational, qui opère partiellement hors de toute juridiction exclusive d’un gouvernement, n’est qu’un des espaces de la finance globale. L’autre type d’espace est celui marqué par les environnements denses des centres financiers réels, ces lieux où les lois nationales continuent d’être en vigueur, même si ces lois sont souvent profondément modifiées. Ces multiples implantations territoriales de l’espace économique électronique privé révèlent une interaction complexe avec les lois nationales et l’autorité étatique. La notion de “ville globale” synthétise cette insertion particulière des formes du capital global hypermobile – y compris le capital financier – dans un réseau d’au moins une quarantaine de centres financiers majeurs de par le monde.4 Cet encastrement a des implications significatives pour la théorie et la politique, s’agissant en particulier des conditions dans lesquelles les gouvernements et les citoyens peuvent agir sur ce nouveau monde électronique (par ex. Rosenau & Singh 2002 ; Latham & Sassen 2005 ; Sassen 2008, chap. 5, 8 et 9), même s’ils rencontrent de vraies limites (Wajcman 2002 ; Robinson 2004 ; Olesen 2005 ; Lovink 2008 ; Daniels 2009 ; Fernando 2010).

Produire la mobilité du capital requiert du capital fixe : des environnements dernier cri, des talents bien choyés et des infrastructures conventionnelles – des autoroutes, des aéroports et des trains (Sassen 1991/2001 ; Chen & de’Medici 2010). Ces conditions sont en partie sous contrainte de localisation, même si la nature de leurs contraintes de localisation diffère de ce qu’elle pouvait être voici un siècle, quand la contrainte locale était plus vraisemblablement une forme d’immobilité. Mais le devenir-numérique apporte aussi avec elles un élargissement des capacités qui permettent la liquéfaction de ce qui n’est pas liquide, engendrant ou accroissant la mobilité de ce que nous avions l’habitude de penser comme n’étant pas du tout liquide, ou l’étant à peine. Le point-limite est atteint avec la numérisation des objets. Cependant, l’hypermobilité atteinte par un objet devenu numérique n’est que l’un des moments d’une situation plus complexe.

Tant la fixité que la mobilité sont liées, plus que dans le passé, à un cadre temporel où la vitesse est croissante et significative. La contrainte de localisation est aujourd’hui infléchie ou inscrite de manière croissante, même si pas absolument, par l’hypermobilité de certains de ses composants, produits et effets (Sassen 2008, chap. 5, 7 et 8). Ce type de fixité ne peut pas être intégralement saisi par une description qui se bornerait à ses aspects matériels et locaux. Nous pouvons illustrer certains de ces points à travers le secteur de l’immobilier. Les firmes financières ont inventé des instruments qui rendent l’immobilier liquide, facilitant ainsi l’investissement dans l’immobilier et sa “circulation” sur les marchés mondiaux. Même si le support physique reste en partie constitutif de l’immobilier, celui-ci a été transformé à présent qu’il est représenté par des instruments hautement liquides qui peuvent circuler entre places financières. Il peut bien sembler inchangé, il est toujours fait des mêmes briques et ciment, il peut être récent ou ancien, mais c’est une réalité transformée.5

Peut-être l’articulation du droit et du territoire, qui s’oppose à celle de la finance globale, est-elle évidente dans un domaine qui a été tout autant bouleversé par le devenir-numérique, mais sous des conditions radicalement autres. Le medium numérique central est l’accès public à l’Internet, et les acteurs-clés sont notoirement des organisations et des personnes sans guère de moyens (pour une sélection d’exemples ; voir par ex. Friedman 2005 ; Tennant 2007 ; Imbert 2008 ; Daniels 2009). Cela produit une variante particulière d’activisme, polarisée certes sur des intérêts locaux multiples, mais numériquement connectée à des échelles plus larges que le local, et atteignant souvent une échelle mondiale. Comme même des organisations et des individus assez démunis peuvent participer aux réseaux numériques, cela signale la possibilité d’un fort développement de politiques transfrontières par des agents autres que les États (Warkentin 2001 ; Khagram et al. 2002 ; Bartlett 2007). Ce qui est intéressant, ici, c’est qu’en dépit de la pauvreté et du caractère local de ces agents, ils peuvent, par certaines voies, biaiser en partie les juridictions territoriales d’État et, bien que locaux, entreprendre de s’articuler avec d’autres partout dans le monde pour constituer ainsi des communs globaux émergents.

Nous voyons ici la formation de types de politique globale qui traversent les spécificités des problèmes et des luttes locales, et peuvent cependant être perçus comme déployant la participation démocratique au-delà des limitations étatiques. Je les tiens pour des versions non-cosmopolitiques de la politique mondiale qui par bien des aspects soulèvent des questions qui, au sujet de la relation du droit avec le lieu, viennent s’opposer à celles posées par la finance globale. Dans le cas de la finance, c’est la difficulté d’une régulation intégrale, tandis que dans le cas des réseaux militants, c’est la possibilité d’échapper à l’emprise des gouvernements et aux restrictions dues à l’immobilité.

Du point de vue de l’autorité étatique et des juridictions territoriales, le résultat général peut être décrit comme déstabilisant les anciennes hiérarchies d’échelles et comme l’apparition de nouvelles échelles encore imparfaitement établies. Les échelles hiérarchiques anciennes, datant de l’époque qui vit la progression de l’État-nation, restent fonctionnelles. Elles sont généralement organisées en termes de niveaux institutionnels et de circonscriptions territoriales : depuis l’international vers le national, le régional, l’urbain et le local. Mais le rééchelonnement actuel court-circuite les niveaux institutionnels et aussi les emboîtements territoriaux produits par la formation des États-nations (Borja & Castells 1997 ; Swyngedouw 1997 ; Graham 2003 ; Harvey 2007 ; Taylor et al. 2007 ; Mansell et al. 2009).

La finance électronique : encastrée, mais et pourtant prête pour la prochaine étape

Les marchés financiers électroniques sont un cas intéressant parce qu’ils sont peut-être l’exemple le plus extrême de la manière dont le numérique peut se révéler réellement libre de toute contrainte spatiale, et plus concrètement, territoriale. Un nombre croissant de travaux examinent les formes les plus extrêmes de ce cas de figure, tant pour la finance que pour d’autres secteurs (par ex. Indiana Journal of Global Legal Studies 1998 ; Korbin 2001 ; Benkler 2006 ; Bollier 2009 ; Fernando 2010). Le mélange de vitesse, d’interconnectivité et d’effet de leviers renforcé qui ressort des marchés électroniques crée une représentation de la finance mondiale comme hypermobile et hors-lieu. De fait, il n’est pas facile de démontrer que ces marchés sont encastrés dans quoi que ce soit de social, sans même parler de concret, comme dans du ciment.

L’éventualité d’un champ purement technique, autonome vis-à-vis du social, est d’ailleurs renforcée par le rôle croissant joué par la recherche en économie financière dans l’invention de nouveaux produits dérivés, devenus à ce jour des instruments pratiquement universels. Cela a conduit à l’idée toujours plus influente selon laquelle ces marchés seraient surtout encastrés dans la recherche en économie financière. Celle-ci s’est imposée depuis les années 1980 comme ce qui donne forme et légitimité, ou encore comme l’auteur ou celui qui autorise de nouvelles générations de produits dérivés (Callon 1998 ; Barrett & Scott 2004 ; Preda & Knorr Cetina 2012). Le savoir financier formel, incarné par la recherche académique en économie financière, est un facteur-clé de la compétitivité des marchés financiers contemporains ; le travail sur ce terrain représente donc bien les “fondamentaux” de la valeur de marché du savoir financier formel, ce qui signifie que certains de ces instruments ou modèles sont plus prisés par les investisseurs que d’autres.6 Les produits dérivés, de par leur grande variété, incarnent ce savoir et sa valeur de marché.

J’ai développé ailleurs l’argument selon lequel ces capacités techniques, rapportées à la complexité croissante des instruments, engendrent la réelle nécessité d’une culture de l’interprétation pour opérer sur ces marchés (Sassen 2008, p. 347–365) ; cela me semble faire partie d’un domaine plus large de la médiation des cultures. S’agissant de la finance, de telles cultures d’interprétation se produisent et se répandent au mieux dans les centres financiers – soit dans des environnements très territoriaux, complexes et denses. Par conséquent, et par un tour peut-être ironique – plus se renforcent les aspects techniques et scientifiques des dérivés et des marchés, plus ces cultures prennent d’importance dans un compromis intéressant entre capacités techniques et culturelles (Sassen 2008, chap. 7). Nous pouvons ainsi nous servir de ce besoin de cultures d’interprétation comme un indicateur des limites de l’encastrement académique des dérivés et retrouver par-là l’architecture sociale des marchés d’échanges de produits dérivés. Je considère plus particulièrement que cela nous ramène à l’importance des centres financiers – ici distingués des “marchés” financiers – en tant que clé, les communautés qui y nichent permettant la construction et le fonctionnement de telles cultures d’interprétation. Le besoin de centres financiers rend aussi raison du fait que le système financier ait besoin d’un réseau de tels centres (Sassen 1991/2001 ; Budd 1995). Ce besoin, à son tour, comporte des implications pour l’autorité territorialement délimitée et signale la formation d’un genre spécial de territorialité, celui marqué par les réseaux électroniques et leur insertion territoriale. Les villes globales sont des ensembles plus généraux et moins étroitement techniques de cette même dynamique, qui incluent d’autres secteurs à côté de la finance. Et au-delà de ces types de formations, il y a d’autres genres de géographies multi-sites, comme celles qui relient la Silicon Valley à Bangalore et aux espaces apparentés (voir generally Borja & Castells 1997 ; Graham 2003 ; Taylor et al. 2007 ; Chen & de’Medici 2010 ; Derudder et al. 2010).

Cependant, parallèlement à cette emprise territoriale qui donne aux États-nations quelques prises pour réguler les marché financiers même les plus mondialisés (et les autres espèces de firmes et de marchés globaux), l’augmentation massive des montants échangés a donné à la finance une forte dose de pouvoir sur les gouvernements nationaux. Cette augmentation est sans doute l’un des effets les plus significatifs de la numérisation dans la finance, dont trois des propriétés sont particulièrement critiques (Sassen 2008, chap. 5). L’une est la numérisation des instruments financiers. Les ordinateurs ont facilité le développement de ces instruments et rendu possible la généralisation de leur usage. L’essentiel de la complexité peut être intégrée aux logiciels, ce qui en autorise l’accès à des utilisateurs qui ne saisiraient pas pleinement les mathématiques financières ni les algorithmes des logiciels. De plus, quand les logiciels permettent la gestion des droits de propriété, cela rend les innovations plus viables. En innovant, la finance a accru le niveau de liquidité du marché mondial des capitaux et augmenté les possibilités de liquéfaction de formes de richesse tenues pour non-liquides jusque-là. Le résultat global fut une augmentation massive de la financiarisation d’avoirs jusque-là non négociables, y compris toutes sortes de dettes, d’où cette augmentation massive des bilans globaux de la finance mondiale. Aperçue à travers les spécificités de la finance contemporaine et des marchés financiers, la numérisation peut être vue comme ayant contribué à une forte augmentation de la variété des transactions.

En second lieu, les traits distinctifs des réseaux numériques peuvent maximiser les avantages issus de l’intégration des marchés globaux : des flux interconnectés en temps réel et des accès décentralisés dans un nombre croissant de pays pour les investisseurs et les échanges. L’arrière-plan essentiel, ici, est que depuis la fin des années 80, les pays ont renoncé à re-réguler leur économie pour garantir la convergence transfrontière et l’intégration globale des centres financiers. Cette condition extra-numérique amplifia les nouvelles fonctionnalités introduites par la numérisation des marchés et des instruments.

En troisième lieu, et selon moi, parce que la finance traite réellement des échanges plutôt que de simples flux financiers, les propriétés techniques des réseaux numériques incluent des significations supplémentaires. L’interconnectivité, la simultanéité, l’accès décentralisé et les outils logiciels, tout cela contribue à multiplier le nombre des transactions, la dimension des chaînes de transaction (c’est-à-dire l’éloignement entre les instruments et les avoirs sous-jacents) et par là-même le nombre des participants. Le résultat global est une architecture complexe des échanges qui promeut une croissance exponentielle des échanges et de leurs montants.

Ces trois aspects du marché contemporain mondial des capitaux sont intimement liés aux nouvelles technologies. Le saut qu’ils ont permis se voit à deux conséquences. L’une est la multiplication des marchés financiers mondiaux spécialisés. Il ne s’agit pas seulement de marchés mondiaux pour les actions, les obligations, les options et les devises, mais aussi de la prolifération de sous-marchés mondiaux extrêmement spécialisés de chacune de ces catégories (Sassen 2012, chap. 4 et 5, Tableaux 5.9 et 5.10, Appendice, Tableaux 5.1–5.4). Cette prolifération est fonction de la complexité accrue des instruments, elle-même rendue possible par la numérisation tant des marchés que des instruments.

La seconde conséquence est que la combinaison de ces conditions a contribué à la position éminente du marché mondial des capitaux par rapport à plusieurs autres composantes de la mondialisation économique. Nous pouvons spécifier deux traits essentiels ; l’un concerne les ordres de grandeur, et le second l’organisation spatiale de la finance. Au premier point de vue, les indicateurs sont le montant monétaire effectivement engagé et, bien que ce soit plus difficile à mesurer, le poids croissant des critères financiers pour les échanges économiques, ce qu’on nomme parfois la financiarisation de l’économie. De 1980 à 2000, la masse totale des avoirs financiers a cru trois fois plus vite que le produit intérieur brut (PIB) des vingt-trois pays hautement développés qui constituent l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; et le volume des échanges de devises, d’obligations et d’actions s’accrut cinq fois plus vite. Cet indicateur agrégé du PIB s’établissait à environ 30 trilliards de dollars en l’an 2000, alors que le montant mondial des produits dérivés échangés internationalement avait dépassé 65 trilliards de dollars à la fin des années 90, un chiffre qui dépassait 168 trilliards de $ en 2001. Depuis 2000, ces différents taux de croissance ont divergé de manière encore accélérée, la finance atteignant 262 trilliards en 2004 et 640 trilliards en 2007, juste avant que n’éclate la crise financière en septembre 2008, chiffres à comparer avec 15 trilliards pour le commerce mondial en 2007 et 11 trilliards pour le total des investissements directs étrangers.

Un second ensemble de notions concernant les capacités de transformation du numérique concerne les limites du changement impulsé par les technologies, ou, en d’autres termes, le point à compter duquel ce marché numérique global du capital se heurte au mur de son d’encastrement dans des conditions non-numériques. Il y a là deux aspects distincts. L’un est de mesurer le fait que le marché mondial des capitaux, même mondial et numérique, est réellement encastré dans de multiples environnements, certains naturellement à l’échelle mondiale, mais d’autres infra-nationaux, ce qui veut dire au niveau des centres financiers où se localisent les échanges (MacKenzie & Millo 2003 ; Harvey 2007 ; Preda 2009 ; Sassen 2012, chap. 4 et 5). L’autre est de mesurer la manière dont il reste concentré dans le nombre limité des plus puissants centres financiers en dépit de ses caractéristiques de marché électronique global et du nombre croissant de centres financiers “nationaux” qui le constituent (GAWC 2005 ; Taylor et al. 2007 ; Sassen 2008, chap. 5). La dérégulation de la finance aurait pu plausiblement conduire à une large dispersion géographique de ces marchés, les plus électroniques et les plus mondialisés.

Cette concentration accentuée des marchés financiers dominants peut être illustrée par quelques faits.7 Londres, New York, Tokyo (en dépit d’une récession économique nationale), Paris, Francfort, et certaines autres villes apparaissent régulièrement en tête et représentent une large proportion des transactions mondiales. Cela reste vrai même après les attaques du 11 Septembre, à New York, qui détruisirent le World Trade Center (qui n’était d’ailleurs pas principalement un complexe financier) et endommagèrent plus de cinquante bâtiments voisins qui abritaient nombre d’activités financières, attaques qui furent un signal de réveil face aux vulnérabilités d’une concentration spatiale intense sur un nombre restreint de sites. Londres, Tokyo, New York, Paris (à présent fusionnée avec Amsterdam et Bruxelles dans EuroNext), Hong Kong, et Francfort rassemblent une part considérable de la capitalisation des marchés mondiaux de titres. Londres, Francfort, et New York concentrent une part énorme des exportations de services financiers mondiaux. London, New York et Tokyo comptent pour 58% du marché des changes internationaux, l’un des rares marchés pleinement mondiaux ; en y ajoutant Singapour, Hong Kong, Zurich, Genève, Francfort et Paris, ils comptent pour 85% de ce dernier, le plus mondial des marchés. Ces niveaux élevés de concentration ne préjugent en rien d’une forte activité sur un grand nombre d’autres places, même si ces dernières ne rassemblent qu’une faible proportion des échanges mondiaux. Cette tendance à la consolidation dans quelques centres, même si le réseau des centres financiers intégrés est en expansion globale, est également manifeste au sein de chaque pays. Aux États-Unis, par exemple, New York concentre les banques d’investissement de référence en ne laissant place, dans cet énorme pays, qu’à un seul autre centre financier international d’importance, Chicago. Sydney et Toronto ont de même établi leur pouvoir dans deux pays-continents et l’ont emporté sur les fonctions et les parts de marché des principaux centres commerciaux antérieurs, nommément Melbourne et Montréal. De même São Paulo et Bombay ont-elles gagné en parts et en fonctions par rapport à Rio de Janeiro pour le Brésil, New Delhi et Calcutta pour l’Inde. Ce sont des pays immenses et on aurait pu s’attendre à ce qu’ils puissent soutenir plusieurs places financières de premier plan, et ce d’autant plus compte-tenu de leur système urbain polycentrique. Non que les centres secondaires ne soient pas performants, mais les centres dominants ont profité plus rapidement et bénéficié sans commune mesure de leur intégration aux marchés mondiaux. Ce schéma est évident dans nombre de pays, y compris les économies dominantes.

Bref, l’espace privé numérique de la finance mondiale recoupe au moins de deux manières spécifiques et souvent contradictoires le monde de l’autorité étatique et celui du droit. D’un côté, cela se passe à travers l’incorporation au sein de la politique stato-nationale de types de normes qui renvoient bien davantage aux logiques opératoires du marché global des capitaux qu’à l’intérêt national. De l’autre, ce qui joue est l’encastrement partiel des marchés financiers, même les plus numérisés, dans des centres financiers réels, qui font que la finance globale réintègre en partie le monde des gouvernements nationaux, bien qu’elle le fasse sous le parapluie des composantes dé-nationalisées (i.e. tournées vers le monde) de l’appareil régulateur étatique. La finance mondiale numérisée rend lisible certaines des imbrications complexes et nouvelles entre le droit et le territoire, notablement qu’il ne se produit pas simplement un dépassement de l’autorité stato-nationale, même dans le cas du plus puissant des acteurs mondiaux. Il y a plutôt à la fois un usage de l’autorité nationale pour mettre en uvre des régulations et des lois qui répondent aux intérêts de la finance mondiale (en incluant la dé-nationalisation des prérogatives étatiques concernées), et un poids nouveau pour cette autorité en fonction du besoin permanent du système financier mondial pour des centres financiers.

Ces conditions soulèvent nombre de questions sur l’impact de cette concentration de capitaux dans des marchés globaux qui favorisent des circulations transnationales et intérieures accélérées. Le marché mondial des capitaux dispose à présent du pouvoir de “discipliner” les gouvernements nationaux, ce qui signifie soumettre aux critères financiers diverses politiques monétaires et fiscales qui auraient auparavant pris en considération des critères économiques et sociaux plus larges. Cette tendance altère-t-elle le fonctionnement des gouvernements démocratiques ? Dès lors que la recherche universitaire n’a pas directement soulevé ou traité de telles questions, nous pouvons nous rabattre sur des réponses plus générales, qui vont de ceux qui tiennent qu’en dernière instance l’État-nation continue bien d’exercer l’autorité suprême en régulant la finance à ceux qui voient dans une économie mondiale élargie un pouvoir émergent qui conquiert à tout le moins un ascendant partiel sur les États-nations.

Même les immobiles et les porteurs de savoirs locaux peuvent participer à la politique mondiale

Les médias numériques sont cruciaux pour des militants installés quelque part, qui s’occupent de problèmes locaux et qui se connectent avec des groupes homologues ailleurs dans le monde. Cette action politique transfrontière est centrée sur le fait que certains types spécifiques de problèmes locaux se répètent entre les régions du monde.8 C’est là une politique partiellement encastrée dans des environnements non-digitaux qui dessinent, donnent son sens et en quelque mesure constituent l’événement ; à ce titre, il faut la distinguer de la politique décrite par la théorie fondatrice de l’hacktivisme (Denning 1999) et de la cyberguerre (Der Derian 2001). Mais elles partagent le fait d’être des formes de militance qui contribuent au délitage progressif du monopole de l’autorité (y compris l’autorité symbolique) sur les territoires et les personnes que nous avons longtemps associés à l’État-nation. Ce délitage peut d’ailleurs se produire même si ceux qui sont concernés ne thématisent pas forcément la question de la nationalité ou de l’identité nationale : cela peut bien être un délitage de facto de l’autorité formelle, qu’on ne pouvait pas déduire d’un rejet conscient du national.

Rien de cela n’est historiquement neuf. Cependant, deux points spécifiques signalent le besoin d’études empiriques et théoriques sur leur forme rendue possible par les TIC. L’un renvoie aux thèses dominantes des sciences sociales concernant la conception du local, qui associent la proximité physique ou géographique, et ainsi les limites territoriales précisément définies, à des significations associées à la fermeture. L’autre, en partie l’effet de la première, consiste en une forte tendance à concevoir le local au sein d’une hiérarchie d’échelles emboîtées convergeant vers des degrés institutionnels, tout particulièrement à partir du moment où existent des États-nations. Même si ces conceptions s’appliquent à l’essentiel de ce qu’est le local aujourd’hui, les nouvelles TIC déstabilisent ces arrangements et invitent à repenser le local de manière à intégrer ces cas qui divergent des schémas dominants. Dans ces conditions, la globalisation et/ou la globalité sont essentielles puisqu’elles constituent non seulement des espaces institutionnels transfrontières mais aussi des imaginaires puissants qui contribuent aux aspirations en faveur d’une pratique politique transgressive, même quand les acteurs concernés sont avant tout locaux et non mobiles.

Les technologies interactives centrées sur les ordinateurs facilitent les transactions multiscalaires et l’interconnectivité simultanée parmi ceux qui sont notoirement confinés en un lieu. Elles peuvent être utilisées pour pousser plus avant de vieilles stratégies et pour développer de nouvelles manières de militer, en particulier l’activisme électronique (Denning 1999 ; Yang 2003 ; Rogers 2004 ; Bartlett 2007 ; Bollier 2009). Les médias Internet sont le principal genre de TIC utilisé, tout particulièrement les courriels, par des organisations du Sud global cantonnées à une faible bande passante et à des connections lentes. Pour appréhender ces formes de mondialité que je pointe dans cet article, il est important d’en passer par la reconnaissance de ces contraintes techniques imposées aux principales organisations transnationales traitant avec le Sud global. C’est ce que les militants ont commencé à faire dans les années 90, en créant par exemple des bases de données en texte seul, sans graphismes ni hyperliens, sans tableaux ni rien des autres procédés requérant une large bande passante et des connexions rapides (Electronic Frontier Foundation 2011 ; Pace & Panganiban 2002, p. 113).9

Cela a été largement reconnu, les nouvelles TIC ne font pas que remplacer des techniques antérieures des médias. Le constat est loin d’être systématique et l’objet même de la recherche est en changement permanent. Mais nous pouvons identifier avant tout deux schémas. L’un admet l’absence de besoin réel de ces technologies compte tenu de la nature de l’action militante, ou, au mieux, leur sous-utilisation. L’autre envisage un usage créatif des nouvelles TIC en parallèle aux anciens médias pour répondre aux besoins de communautés particulières, ainsi de l’usage d’Internet pour envoyer des fichiers son destinés à une diffusion par haut-parleurs à des groupes sans accès Internet, ou qui n’en maîtrisent pas l’usage. Dans le Sud de l’Inde, la Fondation M. S. Swaminathan Research a soutenu ce type de travail en mettant en place des Centres villageois de connaissance (Village Knowledge Centres) au profit de populations qui, même illettrées, savent exactement de quel genre d’informations elles ont besoin ou dont elles manquent ; par exemple, les fermiers et les pêcheurs connaissent les informations spéciales dont ils ont besoin selon les saisons. Le secrétariat international d’Amnesty International a mis en place une infrastructure pour collecter des bases d’information électroniques par satellite en vue de les traiter et de les adresser aux postes de travail de ses équipes.

L’usage de ces technologies a aussi contribué à former de nouvelles formes de mouvements et de militantisme depuis les années 80. Yang (2003) a trouvé que ce qui était d’abord des discussions en ligne entre groupes et individus concernés par des questions environnementales en Chine se mua en organisations non-gouvernementales (ONG) actives. Les formes variées d’hacktivisme en ligne examinées par Denning (1999) sont le fruit d’un militantisme essentiellement innovant. Le cas peut-être le plus largement connu de la manière dont Internet a créé une différence stratégique, le mouvement zapatiste, provint du couplage de deux tâches militantes ; l’une consistant en une rébellion locale dans les montagnes du Chiapas au Mexique, l’autre relevant d’un mouvement transnational de la société civile électronique, rejoint par de multiples ONG soucieuses de la paix, des échanges, des droits humains et autres combats pour la justice sociale. Ce mouvement fonctionna tant à travers Internet que par les médias classiques (Cleaver 1998 ; Arquilla & Ronfeldt 2001 ; Olesen 2005), mettant le gouvernement mexicain sous pression. Cela définit un nouveau concept de militance civile : de multiples groupes autonomes connectés de manière rhizomatique (Cleaver 1998).

Il est bien moins connu que les Zapatistes locaux manquaient de toute infrastructure de courrier électronique (Cleaver 1998) hormis les espaces collaboratifs du Web. Les messages devaient être portés à la main, en traversant les lignes militaires pour les apporter à d’autres qui pourraient les saisir sur Internet ; de plus, les réseaux solidaires eux-mêmes ne disposaient pas tous de courriels et les communautés locales d’appui avaient de fréquents problèmes d’accès (Mills 2002, p. 83). Pourtant, les médias internet ont énormément contribué, en bonne partie du fait de réseaux sociaux préexistants, un point qui est important pour les initiatives des mouvements sociaux (Khagram et al. 2002 ; Tennant 2007) et dans d’autres contextes, y compris les affaires (Garcia 2002). Parmi les réseaux électroniques engagés, LaNeta joua un rôle crucial en mondialisant le conflit. LaNeta est un réseau de la société civile construit grâce au soutien d’une ONG de San Francisco, l’Institut pour la communication mondiale. En 1993, LaNeta devint membre de l’Association pour les communications progressistes (Association for Progressive Communications – APC) et commença d’être une connexion-clé entre les organisations de la société civile à l’intérieur et hors du Mexique. Un mouvement local issu d’une région isolée du pays transforma LaNeta en une plaque tournante transnationale d’informations.

À la longue, tout ceci finit par faciliter un nouveau type de politique transfrontière, profondément locale et pourtant intensément connectée électroniquement. Les militants peuvent développer des réseaux pour faire circuler de l’information à base locale (sur les conditions locales d’environnement, de logement ou de politique) qui s’intègre à leur travail politique, et ils peuvent déployer une stratégie au titre des conditions globales – l’environnement, la pauvreté croissante et le chômage partout dans le monde, l’irresponsabilité des multinationales, etc. Si de telles pratiques politiques existaient de longue date dans les autres médias et à d’autres vitesses, les nouvelles TIC changent les ordres de grandeur, l’ampleur et la synchronisation de ces efforts. Cela assigne de nouvelles significations et de nouvelles possibilités aux pratiques politiques locales. Ces dynamiques sont également à l’uvre dans la constitution de sphères publiques mondiales n’ayant parfois que peu de liens avec des projets politiques spécifiques (Krause & Petro 2003 ; Sack 2005), bien qu’elles ne se conforment pas toujours à des orientations prescrites (Cederman & Kraus 2005).

Une telle politique multiscalaire du local peut échapper aux emboîtements d’échelles des systèmes stato-nationaux, une éventualité qui commença d’émerger fortement dès les années 80 (par ex. Williamson et al. 2002 ; Drainville 2005 ; Bartlett 2007 ; Tennant 2007). Ils peuvent accéder directement à d’autres acteurs locaux de ce genre dans le même pays ou la même ville, ou bien par-delà les frontières. Il est important de ne pas oublier l’histoire antérieure, souvent laborieuse, de militants adaptant la technologie à leurs besoins. Une de ces technologies internet incarnant cette possibilité d’échapper aux hiérarchies emboîtées est ainsi l’espace de travail en ligne ; devenue familière et généralement associée au travail de bureau et utilisée pour la collaboration via Internet (Bach & Stark 2005), elle fut développée par des militants, également dans l’intention d’échapper aux hiérarchies d’échelles emboîtées : pour constituer une communauté de pratiques ou un réseau de connaissances. Un exemple précoce d’un tel espace de travail militant en ligne fut le Réseau de communications du développement durable (Kuntze et al. 2002) mis en place par un groupe d’organisations de la société civile en 1998. C’est une opération virtuelle, ouverte et collaborative destinée à informer un public élargi sur le développement durable et à établir les compétences des membres à utiliser efficacement les TIC. Il dispose d’un “Point d’accès au développement durable” trilingue pour intégrer et mettre en valeur les efforts de communication des membres. Il rassemble des liens vers des milliers de documents signalés par les membres, une banque d’emplois et des listes de diffusion sur le développement durable. C’est une ONG parmi plusieurs autres dont le but est de promouvoir la collaboration dans la société civile au moyen des TIC : mentionnons aussi APC, One World International et Bellanet.

Les types de pratique politique discutés ici ne sont pas la voie d’accès cosmopolitique vers le mondial. Elles sont mondiales par la multiplication délibérée des pratiques locales. Elles sont des types de sociabilité et de luttes profondément encastrés dans les actions et les activités des gens. Elles requièrent aussi un travail de construction institutionnelle avec une perspective mondiale qui vient des localités et des réseaux de localités aux ressources limitées, et d’acteurs sociaux informels. Les acteurs “confinés” à des rôles domestiques peuvent devenir acteurs de réseaux mondiaux sans devoir quitter leur travail et leur rôle au sein de leur communauté d’origine. D’abord vécus comme purement domestiques et locaux, ces cadres “domestiques” deviennent des microenvironnements dans les circuits mondiaux. Ils n’ont pas besoin de devenir cosmopolitiques au cours de ce processus ; ils peuvent bien rester domestiques et particularistes dans leur orientation et continuer d’être liés à leurs quartiers, aux combats de leur communauté locale, et participer pourtant de la politique mondiale émergente. Une communauté de pratique peut émerger pour créer de multiples collaborations, solidarités et soutiens latéraux et horizontaux.

Conclusion

Ces deux cas éclairent des aspects spécifiques des potentialités des technologies numériques à s’affranchir des relations existantes du droit au territoire. Une tendance émergente notable est la possibilité, même pour des acteurs démunis de ressources, de sortir des délimitations nationales pour apparaître comme des acteurs politiques globaux. Mais ces cas illustrent aussi la condition pour que cela advienne : le fait qu’il y ait une combinaison d’un moment numérique avec un moment non-numérique au sein du processus souvent complexe du déploiement de ces nouvelles technologies. Cela signale aussi la formation d’ordres spatio-temporels qui doivent être distingués de ceux du national et qui se conçoivent de surcroît comme distincts du global.

En bref, ce sont des ordres qui peuvent subvertir la dualité global/national et ont transformé le paysage économique et politique tant des élites financières que des militants sociaux. Le système financier mondial privé n’affaiblit pas simplement l’autorité des acteurs étatiques traditionnels, mais consolide aussi le pouvoir des nouvelles élites capitalistes mondiales qui sont effectivement concentrées géographiquement dans les villes globales. Nous voyons ici la configuration des circuits de pouvoir qui sont tout à la fois électroniques et disposent de forts ancrages territoriaux. Les acteurs pauvres en ressources qui utilisent ces réseaux électroniques pour accroître leur aptitude à survivre et à conforter leur propre gouvernance localement autonome ont pour effet tout à la fois de saper potentiellement l’autorité étatique et d’affaiblir la prise dont dispose le système capitaliste mondial sur ces mêmes acteurs.

Ces deux cas aident à éclairer les voies si différentes par lesquelles le développement des réseaux électroniques transforment, ne serait-ce que partiellement, les ordonnancements politico-économiques existants. Ce sont des cas extrêmes, l’un caractérisé par l’hypermobilité, l’autre par l’immobilité. Mais ils nous montrent qu’ils sont tous deux sujets à des types particuliers d’encastrement et à des types particuliers de potentiels d’innovation pour agir mondialement. Les marchés financiers et le militantisme électronique révèlent deux développements parallèles associés à des propriétés particulières des nouvelles TIC. Ils révèlent aussi un troisième effet, radicalement divergent, que j’interprète comme signalant le poids des logiques spécifiques aux usagers dans chaque cas.

En premier lieu, le trait peut-être le plus significatif dans ces deux cas est la possibilité d’associer une décentralisation étendue à une intégration simultanée. Le fait que les initiatives politiques locales puissent s’articuler à un réseau mondial est homologue à l’articulation du marché des capitaux à un réseau de centres financiers. Que le premier repose sur des réseaux en accès public et l’autre sur des réseaux dédiés privés ne change rien à cet effet technique. Parmi les propriétés techniques qui produisent l’utilité spécifique dans chacun des cas, il y a la possibilité d’être mondial sans perdre l’articulation aux conditions et aux ressources locales. De fait, cette articulation n’est pas seulement simultanée, mais aussi constitutive de chacune de ces formations distinctes. Tout comme avec le marché mondial des capitaux, il n’y a guère de doute que les réseaux numériques ont eu un impact décisif sur les organisations et les groupes pauvres en ressources engagés dans une action transfrontière.

En second lieu, une fois établies, la décentralisation étendue et l’intégration simultanée, rendues possibles par les réseaux numériques mondiaux, produisent des effets de cliquet. Le marché électronique mondial des capitaux contemporain se distingue des formes antérieures des marchés financiers internationaux en raison des propriétés techniques des nouvelles TIC, notablement l’ordre de grandeur qui peut être atteint par le biais de l’accès décentralisé en temps réel et de l’interconnectivité, comme par le biais de la mise en logiciels d’instruments toujours plus complexes qui permettent à bien plus d’opérateurs d’utiliser ces instruments. Dans le second cas, l’effet de cliquet tient à la possibilité de constituer des publics et des imaginaires transgressifs plutôt que de demeurer confiné à des recherches d’information et de communication. Pour autant que les nouvelles technologies de réseau renforcent et créent de nouveaux types d’activités transfrontières parmi les acteurs non-étatiques, ils permettent de constituer une condition distincte et seulement partiellement numérique que l’on désigne, de manière variable en tant que société civile mondiale, biens publics mondiaux ou biens communs mondiaux.

En troisième lieu, les différences significatives tiennent aux rationalités, aux valeurs, aux objectifs et aux conditionnements effectifs auxquels chacun de ces types d’acteurs sont sujets. Une fois que nous avons présenté ces dimensions, nous apercevons une tendance, dans chacun de ces domaines, à des effets cumulés menant à une différenciation croissante des résultats. Les potentialités constitutives des nouvelles TIC tiennent à une combinaison de variables numériques et non-numériques. Il n’est pas évident que la technologie seule ait pu produire ce résultat. Les variables non-numériques diffèrent fortement dans ces deux cas, même si le devenir-numérique est crucial pour constituer la spécificité de chacun d’eux. La divergence est visible dès lors que les mêmes propriétés techniques induisent une concentration accrue du pouvoir dans le cas du marché des capitaux, et une répartition accrue du pouvoir au sein des réseaux tournés vers l’accès public pour la société civile.

Les questions présentées dans cet article pointent le potentiel énorme de ces technologies, mais aussi bien leurs limites. Pour une bonne part, c’est la logique sociale des usagers qui contribue aux résultats. Et la logique des usagers peut ne pas correspondre au projet de l’ingénieur. Le produit de leur interaction est un hybride, une écologie qui mêle des propriétés techniques et des logiques sociales. Cette reformulation par les logiques sociales des usagers et des acteurs informatisés développe des implications pour la gouvernance et la participation démocratique. Celles-ci ne permettront pas nécessairement aux usagers d’échapper à l’autorité étatique, pas plus qu’elles ne garantissent nécessairement des résultats démocratiques. Elles ne vont pas globaliser inévitablement les usagers et éliminer leur articulation à des régions déterminées, mais elles feront de la mondialité une ressource pour des usagers aussi opposés que les deux que nous avons présentés. Les résultats ne sont pas unidirectionnels et homogènes. Ils sont mêlés, contradictoires et granuleux.

Remerciements

L’auteure remercie un relecteur anonyme de ses commentaires et suggestions utiles. Elle remercie également la SSRC de l’avoir invitée à présider un projet durant cinq ans sur les TIC et les relations internationales, financé par une dotation généreuse de la Fondation Ford ; une partie des recherches menées par l’auteur pour ce projet lui permirent de développer nombre des aspects conceptuels et empiriques qui ont également donné forme à cet article.

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Cet article est paru sous le titre "Interactions of the technical & the social; Digital formations of the powerful and the powerless" dans le volume 15/4 (mai 2012) de la revue Information, Communication & Society (p. 455-478), chez Routledge.

Pour un développement complet de ces thématiques variées, voir Sassen (2008, chap. 7 et 8).

Les particularités de ces deux cas permettent d'approcher plusieurs programmes de recherche actuellement en développement. Ils incluent le fait de spécifier, entre autres, d'approfondir notre compréhension des dispositifs socio-numériques réelles qui se développent à partir de ces mélanges de technologies et d'interactivité (Barry & Slater 2002 ; Howard & Jones 2004 ; Latham & Sassen 2005 ; Bartlett 2007 ; Lovink 2008 ; Lovink & Dean 2010), les nouvelles formes possibles de socialité que ces mélanges pourraient engendrer (par exemple : Whittel 2001 ; Elmer 2004 ; Himanen 2001 ; Latham & Sassen 2005 ; Olesen 2005 ; Castells 2009), les nouvelles formes possibles de luttes pour le développement économique et la justice sociale que ces technologies permettent (Gurstein 2000 ; Avgerou 2002 ; Mansell et al. 2009), et les conséquences pour l'autorité étatique des réseaux numériques capables de s'affranchir de nombre de juridictions traditionnelles (Indiana Journal of Global Legal Studies 1998 ; Rosenau & Singh 2002 ; Klein 2005 ; Drake & Williams III 2006).

Par exemple, le développement d'alliances de réseaux électroniques entre [plate-formes] d'échanges financièrs situées dans différentes villes rendent lisible que les marchés électroniques sont partiellement encastrés dans les concentrations de ressources matérielles et de talents humains des centres financiers, puisqu'une part du projet est de capturer les avantages de chacun des centres financiers (Sassen 2008, chap. 7). Dès lors, de telles alliances ne visent pas à se substituer aux échanges concernés ni à fusionner l'ensemble en une seule place de transactions.

J'utilise le terme d'imbrication pour saisir cette interdépendance et spécificité simultanées des termes digitaux et non-digitaux. Ils jouent l'un sur l'autre, mais il ne se produit pas d'hybridation au cours de ce processus. Chacun d'eux maintient son caractère irréductiblement distinct (Sassen 2008, chap. 7).

Le modèle conçu pour Long-Term Capital Management (LTCM) fut tenu pour une innovation significative et brillante. D'autres adoptèrent des stratégies d'arbitrage, en dépit du fait que LTCM fit de son mieux pour masquer sa stratégie (MacKenzie 2003). MacKenzie and Millo (2003) exposent que deux facteurs ont assuré le succès de la théorie du prix des options (Black--Scholes) sur le Chicago Board Options Exchange. D'abord les marchés se sont progressivement transformés (par ex. altérations de la théorie de la régulation, l'acceptabilité croissante de l'emprunt d'actions, et une meilleure communication) en sorte que les hypothèses du modèle devinrent progressivement réalistes. En second lieu, l'écart entre les cultures techniques d'interprétation particulières dans le contexte où les processus de l'économie mondialisée réduisaient progressivement les barrières à l'usage le plus large du modèle. La performativité de ce modèle n'était pas automatique, mais "un résultat contesté et historiquement contingent qui s'acheva par un événement historique, le krach de 1987" (MacKenzie 2003, p. 138).

Parmi les sources principales de données pour les chiffres cités ici figurent la Banque des règlements internationaux (Bâle) ; les données de comptabilité nationale du Fonds monétaires international ; les publications spécialisées sur les échanges comme le WorldScope du Wall Street Journal ou Morgan Stanley Capital International ; The Banker; les tableaux de données du Financial Times et de The Economist. Pour une base plus détaillée et une bibliographie complète, voir Sassen (2011, chap. 2, 4, et 5).

Cela a pour parallèle des cas où l'usage d'Internet a permis à des diasporas de devenir mondialement interconnectées plutôt que de rester confinées à une unique relation vis-à-vis du pays ou de la région d'origine.

Il existe plusieurs mouvements qui travaillent à répondre au défi de fournir les logiciels appropriés et d'autres aides aux ONG désavantagées. Un exemple précurseur est celui de Bellanet (2002), une organisaion à but non-lucratif crée en 1995 qui joua un rôle critique en Amérique latine. Elle aide les ONG pauvres à obtenir un accès à l'information en ligne et favorise la dissémination de l'information vers le Sud. À cette fin, elle a mis au point des serveurs Web de courrier qui peuvent envoyer des pages Web par courriels pour des usagers contraints à de faibles bandes passantes. Elle a développé de multiples lignes de service. La ligne de service Bellanet Open Development cherche à permettre la collaboration entre ONG par l'usage des logiciels libres, des contenus libres, et des standards ouverts ; ainsi a-t-elle adapté le logiciel libre PhP-Nuke pour créer un espace collaboratif en ligne pour le réseau des plantes médicinales. Bellanet a adopté le "Contenu libre" qui rend tous les contenus de son site Web librement disponibles au public ; elle soutient le développement d'un standard ouvert pour les informations sur les projets (International Development Markup Language). De tels standards ouverts permettent le partage.

Published 12 November 2013
Original in English
Translated by Gérard Wormser
First published by Sens public 15-16 (2013) (French version); Information, Communication & Society 15, no. 4(2012) (English version)

Contributed by Sens public © Saskia Sassen / Sens public / Eurozine

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