Résumés Multitudes 29 (2007)

Gayatri Chakravorty Spivak
Draupadi. Avant-propos de la traductrice

Draupadi, protagoniste de la nouvelle de Mahasweta Devi publiée ici dans sa version anglaise, est une femme assujettie, mais capable de se rebeller, de résister jusqu’à la mort. Elle ne cherche pas la compassion. Son corps nu et mourant devant l’ennemi, elle résiste, son dernier acte est un acte de résistance dans lequel elle défie son ennemi de la (ren)contrer : pour la première fois, son ennemi, Senanayak, a peur, peur de faire face à un ” objectif désarmé “. Mais qui est Senanayak ? Dans la nouvelle, Senanyak est un officier de l’armée du gouvernement du Bengale qui commande l’arrestation et l’humiliation de Draupadi, la femme qui a pris la tête de la révolte tribale au moment des luttes des Naxalites pour la réforme agraire, dans les années 1960. Mais dans sa préface à la nouvelle, Gayatri Spivak suggère de rapprocher la figure de Senanayak de celle de l’intellectuel du Premier-monde, coproducteur malgré lui des régimes d’exploitation et de domination dans le Tiers-monde. Son point de vue sur l’engagement des féministes occidentales est alors clair : ” nous ne serons pas capables de parler aux femmes de là-bas si nous dépendons entièrement des conférences et des anthologies d’informateurs formés à l’Ouest “.

Gloria Anzaldua
Movimientos de rebeldía y las culturas que traicionan

Homme et femme à la fois, portée par le désir de liberté, libre, contre tout dogme psychanalytique, d’avoir accès à deux mondes. Elle revendique son identité chicana, forgée dans l’histoire de la résistance de la femme indienne, elle affirme avec force sa culture métisse, blanche, mexicaine et indienne à la fois, une culture fabriquée suivant une architecture féministe. Les Chicanas vivent entre plusieurs mondes et racontent leur histoire avec leurs propres mots : c’est le récit à la première personne, le récit comme théorie.

Alessandra Gribaldo et Giovanna Zapperi
Un autre regard. Ethnographie, narration et postcolonialisme

La crise, caractéristique de notre présent post-colonial, des formes historiquement codifiées pour raconter l’altérité a permis l’émergence de ce qu’on appellera les récits de l’autre, ceux qui étaient implicitement exclus de la position de sujets du récit. Cette crise est particulièrement visible dans une discipline comme l’anthropologie qui se fonde précisément sur la narration de l’Autre. À partir des problèmes posés par la possibilité d’une narration visuelle de l’altérité, cet article propose d’analyser le lien entre narration, représentation et identité à travers le travail de Tracey Moffatt, Isaac Julien et Fiona Tan. Dans leurs vidéos et installations, la question du regard posé sur l’autre s’articule autour des thèmes de la mémoire et de la crise de l’ethnographie en tant que moyens de représentation/narration de l’altérité culturelle. Ces artistes mettent en scène un ” autre ” regard capable de faire émerger des histoires subalternes et refoulées. Ils affirment une identité marginale et, en même temps, hybride, au-delà des mythes de l’origine et de la pureté qui traversent la pensée coloniale et colonialiste.

Fatimah Tobing Rony
Le Troisième Œil

Ce texte se compose de trois extraits de l’ouvrage de Fatimah Tobing Rony, The Third Eye. Race, Cinema, and Ethnographic Spectacle, dans lequel l’auteure explore les représentations des ” indigènes ” non occidentaux au début du XXe siècle entre cinéma, culture populaire et ethnographie. Elle met en évidence le rôle des images dans la perception de l’altérité à travers la notion de ” troisième ¦il “, qui résume l’expérience consistant à regarder tout en étant soi-même regardé comme un Autre. Entre récit autobiographique, réflexion sur la relation entre histoire et narration, et une analyse des films de Zora Neale Hurston, ce texte aborde des stratégies de résistance qui déjouent les constructions occidentales du ” sauvage “.

Nirmal Puwar
Architectures de la mémoire. Image, son et pierre

Cet article adopte le rythme des répertoires d’images et de sons qui accompagnent la réalisation d’un film consacré aux espaces publics dans un paysage d’après-guerre et postcolonial. À la recherche de conversations qui offrent des indices de l’habitation et la production d’espaces publics dans un quartier de cinémas, l’article examine le processus créatif qui se joue dans l’écriture de ces histoires calquées sur la manière même dont les villes s’imaginent, se perdent et se retrouvent, peut-être, dans une réflexion poétique.

Romaine Moreton
Quand la parole libère (de) l’écrit, et l’écrit (de) la parole

Faire entendre la voix de ceux pour qui le texte écrit est étranger à la tradition culturelle : tel est le projet de la poétesse et performer aborigène Romaine Moreton, dont nous publions deux poèmes extraits du recueil Post Me to the Prime Minister. Écrits en anglais dans la version originale, ces poèmes sont écrits au rythme du bongo. Entre la langue du colonisateur et le rythme de la langue du colonisé, ils expriment le combat de Romaine Moreton : le combat d’un peuple pour se représenter lui-même, pour avoir le droit d’être auteur de soi-même.

François Matheron
L’homme qui ne savait plus écrire

Un jour de novembre 2005, c’était un samedi, je me souviens très bien, ma vie a changé, radicalement. Je ne sais pas comment définir ce moment, par commodité on peut appeler cela l’accident. L’accident donc, a de multiples facettes mais c’est d’abord une révolution, un retour au point de départ de mon rapport au langage. Dans la mesure où j’ai encore beaucoup de mal à conjuguer les verbes, mon récit sera surtout écrit au présent.

Benoît Durandin
Subbotniki / Rumeurs d’une ville sur sol instable

Ces notes se rapportent aux villes sibériennes et plus particulièrement à l’une d’entre elles, Yakoutsk ; aux problématiques qui s’y trouvent piégées mais aussi à celles qui en sont réfractées, aux facteurs endogènes qui les façonnent mais aussi à ce qu’elles viennent contaminer globalement. Là où les paramètres sont hypertrophiés ou atrophiés, nous pouvons tenter de circonscrire les différentes façons d’habiter un monde instable et ses transformations à venir, de quelque nature qu’elles soient. Les notes et les photographies de ce dossier sont extraites d’une base de données qui sera consultable fin avril 2007 sur www.subbotniki.eu.

Kuniichi Uno
Traduire des voix

Certains me disent : comment est-il possible de traduire Deleuze en japonais ? Question intéressante que nous n’avons jamais posée. L’essence d’une ¦uvre ne se dégage qu’une fois traduite, dit W. Benjamin. Et si l’on traduit dans n’importe quelle langue Deleuze et d’autres, il importe de traduire aussi la voix qui comporte des voix sous-jacentes. Traduire la voix, la chair et les os d’une pensée, c’est ce que nous désirons et essayons en expérimentant l’impossible. En tout cas, il se passe beaucoup de choses lorsqu’on expérimente cet impossible.

Sergueï Fokine
Traduire celui qui veut écrire ” dans une sorte de langue étrangère ” : Langue-Deleuze

Il s’agit d’étudier le lien entre le ” pourquoi traduire ” et le ” comment traduire ” Deleuze en faisant un détour par l’histoire proche de la pénétration de Deleuze dans la culture philosophique russe et de son incidence sur la pratique de la traduction philosophique aujourd’hui en Russie. Par un étrange contresens, Deleuze est diffusé pour démarxiciser la philosophie, pour débarrasser la pensée russe du fardeau du marxisme ou plutôt du pseudo-marxisme, comme une sorte d’introduction à la vie capitaliste. Parallèlement, la traduction de Deleuze est l’objet d’un conflit entre une tradition de la traduction qui rabat la langue deleuzienne sur la langue philosophique classique et des pratiques nouvelles qui défendent la singularité de la langue et du style.

Mihalis Matsas
Traduire L’Image-mouvement et L’Image-temps en grec. Entretien avec Jehanne Dautrey

Mihalis Matsas revient sur les difficultés qu’il a rencontrées en traduisant les deux volumes que Deleuze a consacrés au cinéma. Aux difficultés spécifiques à la langue grecque et à la terminologie deleuzienne s’ajoutent une certaine méconnaissance, en Grèce, de la philosophie française moderne et un intérêt récent pour la théorie du cinéma.

Ali Akay
Gilles Deleuze en turc

” Comment et dans quelles conditions la philosophie de Gilles Deleuze est-elle entrée dans la langue turque ? ” est le problématique de cet article. Le travail de traduction par le milieu de l’¦uvre de Deleuze, à partir de lui et avec lui, est une expérience que j’ai eu la chance de vivre dans ” la tâche du traducteur ” que j’ai assumée. Comment traduire la déterritorialisation ? Comment faire en sorte que ce concept ne soit pas confondu avec la terre ou le territoire de l’État-nation ? Ainsi faut-il traduire les machines désirantes en dehors de la traduction par l’américain qui ne se rend pas compte de son rapport avec la phénoménologie (intentionnalité du sujet) ; car justement Deleuze l’a combattue dans sa philosophie.

Louise Burchill
Deleuze comme ” traductologue ” ? ou le temps de traduire

En posant la question de savoir si l’on pourrait déceler une pensée de la traduction chez Deleuze, cet article part, à la fois, de l’importance que Deleuze attribue à la syntaxe à titre de ce qui tend vers le mouvement du concept, et du rapport différentiel qu’il établit entre les langues anglaise et française eu égard au ” devenir “. Dans cette perspective, on examine l’entrecroisement entre quelques concepts clés de la philosophie deleuzienne et certaines théories de la traduction qui élaborent une syntaxique contrastée de l’anglais et du français. L’analyse des concepts d’actualisation, de virtuel et d’actuel tels qu’ils sont employés par Deleuze et par la syntaxique comparée nous indique que c’est la temporalité interne que Deleuze attribue à la langue qui aurait un rôle critique à jouer dans la traduction.

Michèle Collin
Giselle Donnard (1938-2006)

Nous avons choisi de publier deux textes inédits de Giselle qui nous semblent bien marquer l’originalité de sa vie véritablement politique, à la fois proche théoriquement de Félix Guattari et en même temps agissant très concrètement sur tous les fronts des mouvements citoyens qui affirment un rapport spécifique à l’action politique et à la vie.

Giselle Donnard
L’Urgence à développer une citoyenneté planétaire

Il y a aujourd’hui urgence à développer une citoyenneté planétaire et les solidarités qu’elle implique. Urgence à aider partout les subjectivités qui s’autonomisent dans des processus de résistance et de constructions alternatives. Urgence à établir des rencontres transversales. Urgence à ne pas abandonner la planète aux mains des processus dévastateurs de toutes sortes.

Giselle Donnard
Femmes dans la guerre aujourd’hui

Le sort des femmes dans les guerres a toujours souffert du non-dit, il se trouvait en quelque sorte enfoui, banalisé dans le sort général des civils puisqu’elles n’étaient pas combattantes. Mais on peut dire que dans les derniers conflits, les femmes ne font plus partie d’un ” arrière “, par opposition aux combattants du front, car en fait il n’y a plus d’arrière, elles se retrouvent désormais de plein pied dans la guerre (en Algérie et en Bosnie, notamment).

Madeleine Hersent
Construire des subjectivités collectives féministes

La pensée et les actions de Giselle Donnard ouvraient des espaces singuliers d’analyse ancrés sur la préhension de réalités internationales plurielles. Giselle était de ces passeurs qui refusent les choix binaires et réalisent des croisements improbables. Elle cherchait à faire entendre la complexité et la diversité des évolutions sociétales en articulant radicalité et pragmatisme, singularités et multitudes.

Published 9 July 2007
Original in French

Contributed by Multitudes © Multitudes Eurozine

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Read in: EN / FR

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