Résumés Multitudes 18 (2004)

DIDIER DEBAISE
QU’EST-CE QU’UNE PENSÉE RELATIONNELLE ?

La modernité se constitue, selon Simondon, à partir d’un paradigme qui traverse tous les domaines de l’expérience : l’être-individuel. Elle se définirait comme un ensemble d’opérations, de techniques, de connaissances visant à extraire les dimensions individuelles de ce qui, dans la réalité, se présente comme essentiellement attaché, relié et changeant. Dès lors, une des possibilités pour sortir de certains problèmes (liés à la connaissance, à l’expérience, au social) qui ont accompagné la pensée moderne pourrait se situer dans ce que nous avons appelé une « pensée relationnelle », dans laquelle la relation occuperait une place centrale.

YVES CITTON
SEPT RÉSONANCES DE SIMONDON

Pourquoi lire Simondon aujourd’hui? Sept axes de pertinence sont esquissés, sept problématiques dont Simondon nous invite à lancer et à explorer le chantier, sept décalages par rapport à la façon dont les discours politiques dominants abordent des questions comme l’individu, le corps social, le contrat, l’identité, les affects, l’ hétérogène.

PAOLO VIRNO
LES ANGES ET LE GENERAL INTELLECT. L’INDIVIDUATION CHEZ DUNS SCOT ET GILBERT SIMONDON

Plus que tout autre penseur, Duns Scot et Simondon se sont longuement arrêtés sur le rapport entre ce qui est surtout commun et ce qui est surtout singulier. Relever certaines assonances entre leurs thèses peut nous aider à mettre au point un modèle théorique pour déchiffrer le mode d’être de la multitude contemporaine. Cet article concerne : 1. La critique adressée par Duns Scot et Simondon à tous ceux pour qui le couple matière-forme peut rendre raison du processus d’individuation. 2. L’écart séparant la notion d’ « universel » et celle de « commun », et par là l’exigence de préciser le statut ontologique et logique du « commun » sans utiliser en sous-main les catégories liées à l’ « universel ». 3. Le rapport paradoxal – fait à la fois d’ addition et de soustraction – de l’individu individué à la « nature commune ». 4. La question des anges (sont-ils ou non des individus ?), source de la célébrité folklorique de Duns Scot dans les manuels scolaires, réexaminée à la lumière des concepts simondoniens de « transindividualité » et d’ « individuation collective ».

JACQUES ROUX
PENSER LE POLITIQUE AVEC SIMONDON

La pensée simondonienne de l’individuation ne s’est pas directement attachée à s’appliquer au politique. Pourtant, à travers des notions comme celles de métastabilité, de milieu associé, de centralité ou même d’éthique, le philosophe ouvre plus que des pistes pour comprendre à nouveaux frais les processus de transformation sociale et la question du vivre ensemble. En complémentarité avec l’approche du public chez John Dewey, les écrits de Gilbert Simondon permettent de penser positivement le politique comme expérimentation réflexive d’une transindividualité des êtres partagés.

ISABELLE STENGERS
RÉSISTER À SIMONDON ?

Dans cet article, Isabelle Stengers analyse la rencontre entre le « germe-Simondon » et le milieu soudainement réceptif qui l’accueille aujourd’hui. Agacée par une certaine forme de piété risquant d’entourer désormais Simondon, elle nous invite à faire du transindividuel autre chose qu’un mot et qu’une réponse passe-partout, et à le traduire en vecteur immanent de perplexité, en pratiques expérimentales politiques et en agencements collectifs, seuls porteurs d’empowerment.

BERNARD ASPE & MURIEL COMBES
L’ACTE FOU

Après une synthèse rapide sur la séquence spéculative « individuation, transduction, transindividualité » qui traverse la pensée de Simondon, les auteurs se penchent sur ce qui leur paraît en constituer une limite paradoxale : l’isolation historique de ce philosophe de la relation. Ils formulent alors une hypothèse : le type d’acte vers lequel Simondon a tendu ses efforts militants ne pouvait convenir à ce qui était indiqué dans la caractérisation de l’expérience transindividuelle. En se livrant à une pensée spéculative incapable d’instaurer un collectif transindividuel, Simondon s ‘est inscrit dans la logique qu’il a lui-même décrite comme étant celle de « l’acte fou ».

ALBERTO TOSCANO
LA DISPARATION. POLITIQUE ET SUJET CHEZ SIMONDON

Est-il possible d’extraire des écrits de Gilbert Simondon les linéaments d’une pensée (de la) politique ? On esquissera une réponse affirmative en portant notre attention sur trois aspects de la philosophie de Simondon: 1. la façon dont le concept de Nature ou de pré-individuel déplace les débats sur le rapport entre action politique, nature humaine et capacité biologique; 2. l’importance de l’excès du sujet sur l’individu comme matrice d’une politique du transindividuel; 3. la possibilité d’envisager la notion de disparation, surtout dans sa lecture deleuzienne, comme un apport essentiel à une philosophie politique de la différence, c’est-à-dire à une pensée non-dialectique de la construction et du conflit. On terminera avec une considération sur les limites de Simondon, limites concentrées dans la notion équivoque et irénique de « culture » ou de « culture technique ».

EMILIA M.O. MARTY
SIMONDON, UN ESPACE À VENIR

L’ouvre de Gilbert Simondon est consacrée à l’acte de connaissance comme propre à l’expérience humaine et commun à tous les champs spécialisés. Il s’agit d’un départ vers l’infini, d’une ouverture à la nature, inaugurés avec la découverte de la philosophie en Grèce. Ce mouvement de l’individuation s’ancre dans le préindividuel, le flot du vivant.

OLIVIER BLONDEAU
DES HACKERS AUX CYBORGS : LE BUG SIMONDONIEN

À rebrousse-poil de la technophobie qui hante les traditions de pensée inspirées de Heidegger et de Habermas, Simondon nous invite dans sa réflexion sur le Mode d’ existence des objets techniques à sortir par le haut de la critique de la modernité. Il offre ainsi un cadre particulièrement approprié pour comprendre les enjeux de la « techno-nature » consentie et revendiquée par l’éthique hacker, et pour s’interroger sur les formes de subjectivité politique qui lui correspondent. L’unité entre le producteur, l’objet technique et l’utilisateur, qui participe pour Simondon de la transindividualité de la machine, permet de revisiter la question de l’expressivité du code, de l’open-source et de la constitution de collectivités connexionnistes.

DIDIER DEBAISE
LE LANGAGE DE L’INDIVIDUATION (LEXIQUE SIMONDONIEN)

À la suite de quelques remarques générales sur les enjeux théoriques de l’invention lexicologique pratiquée par Simondon, un lexique est fourni pour aider le lecteur à entrer de plein pied dans la pensée simondonienne. Y sont discutées et définies à partir de citations six notions-clés : la métastabilité, la transduction, l’hylémorphisme, la disparation, la singularité et le transindividuel.

SARI HANAFI
SPATIO-CIDE, REFUGIÉS, CRISE DE L’ÉTAT-NATION. VERS UN ÉTAT PALESTINIEN EXTRATERRITORIALISÉ

Sari Hanafi analyse la situation de la population palestinenne et de l’occupation des territoires de Cisjordanie et de Gaza en avançant le concept de « spatiocide ». Cette politique de l’État israélien visant un « transfert volontaire » des Palestiniens est mise en ouvre par une biopolitique et des états d’exception. Selon lui, un État-nation palestinien classique ne peut résoudre le problème incontournable des réfugiés. Il avance en conséquence la possibilité d’une solution créatrice : un État-nation extraterritorialisé.

PASCAL HOUBA
TRANSHUMANISER ET ORGANISER LES MULTITUDES

L’ouvre multiforme de Pasolini prend comme objet privilégié la vie des déclassés, des hors-normes. Nous examinons comment l’on peut envisager une organisation des multitudes à la lumière des pratiques développées par Pasolini pour traiter ces formes de vie singulières. Nous relevons la cohérence de l’éthique du discours indirect libre prônée par Pasolini dans le contexte de la normalisation idéologique et linguistique qui furent les conséquences du fascisme et du néo-capitalisme en Italie.

ALAIN NAZE
PASOLINI UNE ARCHÉOLOGIE CORPORELLE DE LA REALITÉ

En se centrant autour de l’ouvre écrite de Pasolini, cet article cherche à faire apparaître une sorte de langue mineure, qui serait celle, corporelle, des mondes populaires, archaïques, et/ou paysans. Car si c’est bien à travers le cinéma que Pasolini va avoir recours à une représentation de la réalité par la réalité, on peut noter qu’en ses poèmes, ses romans et ses nouvelles, c’était déjà la réalité elle-même qu’il traquait. Par conséquent, l’amour de Pasolini pour cet univers d’ avant la dévastation industrielle et consumériste est d’abord un amour pour les langages le révélant à travers un système d’entre-expression, plaçant les corps au centre et faisant de la langue parlée elle-même un élément de la réalité – à l’opposé de l’italien officiel témoignant d’une perte de réalité, par « homologation » consumériste.

MICHAEL HARDT
L’EXPOSITION DE LA CHAIR CHEZ PASOLINI

Poursuivant la réflexion de Pasolini dans le poème La crucifixion, Michael Hardt fait de la passion du Christ le modèle de l’offrande de la chair, de l’affirmation païenne de la continuité entre immanence et transcendance. Par l’érotisme de son exposition sur la croix, le Christ nous invite à nous unir comme lui dans la chair. Il fait partager l’expérience de la chair, de sa souffrance et de sa joie à ceux qui le regardent, et arrache ce faisant le pouvoir de la corrompre à ses tortionnaires. Il rayonne de la puissance de l’amour.

PIERRE OLIVIER CAPÉRAN
LA MESURE DU FANTASME

Partant de l’hypothèse que le cinéma donne sa mesure au fantasme en l’actualisant dans un temps et un espace cinématographiques, nous « opérons » le Decameron de Pasolini en relevant les effets de contamination de corps propres (individués, essentialisés) par des corps étrangers. En déplaçant l’opération sur la structure même du film, nous analysons la dispersion de l’ordre cosmologique des récits et l’ émergence, au sein des suites narratives, d’une discontinuité continentale des corps et des espaces. Cinéma des matières et des postures, le Decameron est un matérialisme cinématographique, expropriant les corps, les multipliant.

RENE SCHÉRER
L’ENFER DE L’HÉDONISME

Bien qu’il soit impossible de voir dans Salò une illustration des Cent vingt journées de Sade, il n’y a pas, toutefois, comme on l’a souvent prétendu, schématisation et trahison. Pasolini se sert de la référence, de « l’outil » Sade, dans son ambiguïté, pour exposer et démonter les conséquences d’une logique paradoxale des Lumières, de leur éthique utilitariste et hédoniste. La sexualité, traitée comme consommation pure, devient dispositif et instrument de pouvoir et de destruction. À travers Salò, ce n’est pas le fascisme historique, première manière, qui est visé, mais le second, invisible encore, de la société de consommation, ainsi que l’effondrement du corps et de l’eros dans le langage de la communication et de la transparence intégrale des affects.

TONI NEGRI & MICHAEL HARDT
MULTITUDE : GUERRE ET DÉMOCRATIE À L’ÉPOQUE DE L’EMPIRE (BONNES FEUILLES)

Dans ces bonnes feuilles de leur nouveau livre qui s’intitule Multitude : Guerre et démocratie à l’époque de l’Empire (Penguin/La Découverte, 2004), Toni Negri et Michael Hardt font le point sur la notion de « multitude », face aux critiques qui lui ont été adressées à la suite de la parution d’Empire (en 2000), ainsi que sur les possibilités d’organisation ouvertes aujourd’hui pour répondre au régime de guerre mis en place après septembre 2001.

FLORENT LATRIVE
DU BON USAGE DE LA PIRATERIE. CULTURE LIBRE, SCIENCE OUVERTE

Qu’est-ce qu’un pirate ? Dans cet extrait d’un livre à paraître prochainement, Florent Latrive montre à travers une série d’exemples historiques que le piratage, construction légale et artificielle, est une notion qui varie dans le temps et dans l ‘espace. Qui se souvient qu’en 1976 seulement les majors hollywoodiens traînaient devant les tribunaux une innovation technologique diabolique, le magnétoscope, en prouvant que si chacun pouvait pirater librement les films diffusés à la télévision, ce serait toute l’industrie cinématographique qui serait vouée à mordre la poussière à brève échéance ?

PHILIPPE ZARIFIAN
PRODUCTIVITÉ, ÉVÉNEMENT ET COMMUNICATION DANS LE POST-FORDISME. SUR LE LIVRE DE CHRISTIAN MARAZZI : ET VOGUE L’ARGENT

À l’occasion du compte-rendu d’Et vogue l’argent de Christian Marazzi, la discussion se concentre sur trois questions centrales pour l’analyse du capitalisme post-fordiste : (a) y a-t-il vraiment dissociation entre investissement financier et investissement productif, et ne faudrait-il pas reconnaître une nouvelle couche capitaliste constituée par l’association entre les gestionnaires des fonds de placement et les hauts dirigeants des grandes firmes productives ? (b) la notion d’ ouvrier-masse, utilisée par Marazzi, ne tend-elle pas à la fois à sous-évaluer l’ inventivité du travailleur tayloriste et à sur-estimer son activisme politique ? enfin (c) le noud de la productivité émergente n’est-il pas à appréhender autant en termes d’événement (et de réponse inventive à des situations événementielles) qu’en termes de communication langagière ?

Published 20 September 2004
Original in French

Contributed by Multitudes © Multitudes

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