The heritage of Madame Sevigny

Style épistolaire et la conversation en France

Stendhal aimait l’Italie avec passion. Non seulement à cause de Raphaël adoré et à cause de Corrège, Cimarosa et Rossini, mais aussi parce que la nature et l’art y forment un ensemble idéal. Stendhal avait beaucoup écrit des relations humaines qu’il avait ressenties en Italie et qui différaient tant de la retenue habituelle en France. ” A Paris, il faut presque, à chaque fois que l’on se présente chez un ami intime, rompre une légère superficie de glace qui s’est formée depuis quatre ou cinq jours que l’on ne s’est pas rencontré ; et quand cette opération délicate est heureusement terminée et que vous êtes redevenus tout à fait intimes et contents, au plus beau de votre amitié, minuit sonne, et la maîtresse de la maison vous renvoie. “1 Stendhal se sentait heureux en compagnie des Italiens où la cordialité et la sincérité régnaient dès le premier instant et le voyageur avait l’impression d’être entouré par des amis anciens et proches. Cependant l’homme qui jouissait d’une réputation d’un homme d’esprit en France risquait devenir un pître parmi les Italiens: ” Ce qu’il y a de plus impatientant ou de plus admirable pour un Italien, suivant le sens duquel il prend la chose, c’est un fat français homme d’esprit, qui en une heure de conversation parle d’Homère, d’économie politique, de Bolivar, de Raphaël, de chimie, de M. Canning, du commerce des Romains, du Vésuve, de l’empereur Alexandre, du philosophe Erasme, de Paisiello, de Humphry Davy, et de cent autres choses. Aprés cette conversation aimable, l’Italien qui s’est efforcé de mettre son esprit au galop pour penser profondément à chacune de ces choses, à mesure qu’elles voltigent sur les lèvres de l’homme d’esprit français, a un mal de tête fou. “2

Il semblerait que Stendhal jugeait la façon de communication sociale des Français affectée et prétencieuse. Pourtant la cordialité italienne, la force de leurs sentiments et la droiture de l’expression de soi, tant admirés par Stendhal, ne sont pas dus uniquement au tempérament national. Les différences entre Paris et Milan, mises en relief par l’écrivain, étaient déterminées par l’époque et ses idéaux; il vivait au moment où, dans la culture française des salons, le naturel égalait à l’ingénuité. En plus, le français dicte à lui-même sa façon de s’exprimer. Moi aussi, en m’observant d’un oeuil critique, je suis obligé de reconnaître qu’en passant à cette langue je deviens bavard et rhétorique à mon insu. La construction élégante de la phrase française, la possibilité de former facilement des phrases composées, d’enchaîner des gérondifs et de se permettre un pathétisme léger est une chose séduisante. Plus encore – le français impose un rhytme et un tempo plus accélérés, et une affectation modérée contamine celui qui, dans sa langue maternelle, n’y est point enclin.

Cependant, l’état des choses n’en a pas été à ce point depuis toujours. Michel de Montaigne, l’un des auteurs de référence de la langue littéraire française, penseur qui visait à la droiture, à la précision et la force d’expression écrivit: ” Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brusque…, plutôt difficile qu’ennuyeux, éloigné d’affectation, déréglé, décousu et hardi. “3 Montaigne louait le jargon, le parler des conditions sociales et professionnelles diverses, il trouvait “le language de la chasse et de la guerre” un champs riche en emprunts pour la littérature. Aux époques capables de respecter le naturel et le vrai, la compréhension de la langue, à ce niveau, a toujours subsisté en France.

Or, le 17ième siècle ne le pensait pas, il vint avec une solennité académique, en mettant de l’ordre dans le chantier expressif et riche, pourtant chaotique, de la langue française. Madame de Sévigné prouva par son épopée épistolaire qu’il ne fallait pas être écrivain pour embrasser toute une image de l’époque dans les lettres, tout en respectant dans chacune d’entre elles les exigences de la diversité stylistique. Il paraît que jamais, à nul moment de sa vie, elle n’oubliait pas qu’un jour tous ses écrits puissent être imprimés, puissent être blâmés ou admirés. Le message fameux de Madame de Sévigné à sa fille à propos du mariage de la cousine de Louis XIV, duchesse de Montpensier, avec Monsieur de Lauzun en 1670, avec un entassement puissant de superlatifs, témoigne d’une invention littéraire et d’un courage de la forme: ” Je m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu’aujourd’hui, la plus brillante, la plus digne d’envie : enfin une chose dont on ne trouve qu’un exemple dans les siècles passés, … une chose que l’on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon) : une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde, .. une chose qui se fera dimanche et qui ne sera peut-être faite lundi.”4

Madame de Sévigné était plus proche de Montaigne que de sa propre époque qui cultivait le style normatif, pathétique et rhétorique. Les mémoires de Louis XIV sont également et simultanément une sorte de monologue et de lettre interminablement longue adressée à son fils. Ce ne sont pas seulement des pensées politiques, mais un monument de la langue française de l’époque, créé, à vrai dire, non sans l’aide de ses secrétaires. Les premières lignes sont déjà remplies d’une immense conscience de soi vêtue d’un style respectif solennel: “Mon fils, beaucoup de raisons, et toutes fort importantes, m’ont fait résoudre à vous laisser, avec assez de travail pour moi, parmi mes occupations les plus grandes, ces Mémoires de mon règne et de mes principales actions. Je n’ai jamais cru que les rois, sentant, comme ils font, en eux toutes les tendresses paternelles, fussent dispensés de l’obligation commune des pères, qui est d’instruire leurs enfants par l’exemple et par le conseil. Au contraire, il m’a semblé qu’en ce haut rang où nous sommes, vous et moi, un devoir public se joignait au devoir du particulier, et qu’enfin tous les respects qu’on nous rend, toute l’abondance et tout l’éclat qui nous environnent, n’étant que des récompenses attachées par le Ciel même au soin qu’il nous confie des peuples et des états”.5 Par une ironie du destin, le message royal où les principes propagés étaient aussi sublimes que les activités pratiques – insensées – peut être opposé à la lettre anonyme à Louis XIV, écrite par le précepteur du dauphin, l’archevêque de Cambrais François de Fénelon. Peu importe que le roi eût finalement lu le jugement sur la politique de Louis XIV ; saturé de reproches amers, envoyé par l’intermédiaire de Madame de Maintenon. Cette lettre est, elle- aussi, un monument, un dialogue historique avec le roi au-delà du temps, formant un contraste littéraire et philosophique. Rien que l’introduction de la lettre provoque l’admiration et démontre le savoir-faire pour neutraliser l’explosion de colère prévisible du destinataire: ” La personne, Sire, qui prend la liberté de vous écrire cette lettre, n’a aucun intérêt en ce monde. Elle ne l’écrit ni par chagrin, ni par ambition, ni par envie de se mêler des grandes affaires. Elle vous aime sans être connue de vous ; elle regarde Dieu en votre personne. Avec toute votre puissance vous ne pouvez lui donner aucun bien qu’elle désire, et il n’y a aucun mal qu’elle ne souffrit de bon c¦ur pour vous faire connaître les vérités nécessaires à votre salut. Si elle vous parle fortement, n’en soyez pas étonné, c’est que la vérité est libre et forte. Vous n’êtes guère accoutumé à l’entendre. Les gens accoutumés à être flattés prennent aisément pour chagrin, pour âpreté et pour excès, ce qui n’est que la vérité toute pure”.6

Dans les lettres écrites en français, le duc de Courlande Jacques devient, à son tour, subitement gracieux et spirituel, et les phrases lourdes de rond-de-cuir allemand cèdent leur place à la souplesse de la phrase française. Trois années plus tard, en 1664, quand Louis XIV avait déjà entrepris son message au fils, le duc Jacques composa en français quelque chose de plus court et de plus pratique. C’étaient des instructions au précepteur du prince héritier Frédérique Casimir Hans Flemming où, entre autres, le cinquième paragraphe préconise: ” Pour ce qui est des comportements de la table, le dit Sr. Gouverneur prendra garde qu’il ne s’emporte en paroles, crier ou faire trop paroistre sa voix ne s’appuyer les coudes sur la table, ne manger à bouche ouverte ou trop tendue, ni jouer ou badiner avec le cousteau ne contraindre sa bouche en discourant ni faire aucune grimasse ou geste de pied qui contredise aux honnestes m¦urs, en se tenant panché ou sur un pied (chose contredisante à la bienséance) et dans les promenades ses moeurs et conversations nous remettons à la prudence et discrétion de Sr. Gouverneur.”7 Les lettres de la duchesse de Courlande Dorothée écrites en 1785, d’un style naïf et raboteux, sont en contraste surprenant avec la légèreté par laquelle elle s’exprime en français résidant depuis 1809 en France. C’est à elle que le grand maître de la diplomatie et le cynique Charles Maurice de Talleyrand, au moment où l’empire de Napoléon Ier s’écroule, avait dédié sa lettre ordinaire du 24 février 1814 avec l’exposé de ses événements dramatiques qu’il termina par un enthousiasme peu caractéristique pour lui: ” Je vous aime de toute mon âme. Je trouve tout supportable quand je suis prés de vous. Vous ! Vous ! Vous ! Voilà ce que j’aime le plus au monde!”8 Les mêmes métamorphoses touchèrent la fille de Dorothée Vilhelmine. Des centaines de ses lettres écrites en français à son amant, l’homme d’état, autrichien Clément von Meternich reflètent une passion véritable et ne succombent pas à la banalité en s’élevant jusqu’au altitudes de la littérature sentimentale et romantique de son temps.

A toute époque, les lettres reflètent le mode d’exprimer les pensées qui sont, à leur tour, déterminées par les tendances de cette époque. Le supplice de Flaubert ouvrant au style de son travail, le polissage de la phrase, la variation des épithètes et la peinture des paysages imaginés est un exemple chrestomatique du processus de l’écriture du 19ième siècle. En 1920, dans son essai sur Flaubert, Marcel Proust affirme que Flaubert n’avait aucune belle métaphore (il commence son essai par la déclaration ” …je crois que la métaphore seule peut donner une sorte d’éternité au style “, pourtant il ne cesse d’admirer les trouvailles de Flaubert). Proust estime que les enfilades de verbes à l’imparfait qui transforment l’action en impression contemplative sont un vrai miracle de la langue, une révolution dans la littérature française. L’analyse passionnée de la syntaxe de Flaubert est, en même temps, un témoignage du combat que Proust avait mené lui-même avec la forme et l’expression de son oeuvre.

Les lettres de van Gogh, une sorte de contraire au style “fignolé” littéraire de Madame de Sévigné, ne sont pas un monument moins admiré du genre épistolaire. Cependant ceux qui chercheront dans ces messages quelque chose de pareil à la force bouillonnante de la peinture de van Gogh seront déçus – ce ne sont pas ses toiles, il n’y a pas de couleur folle, de dynamisme vertigineux. L’âme mise à nu de l’artiste, sa cordialité profonde et le manque d’artifice dans les sentiments sont transposés dans un langage vif, grammaticalement simple, qui n’est pas dépourvu de clichés rhétoriques – van Gogh, lui non plus, ne parvient pas à fuire l’élégance incontournable de la phrase française et son beau débit. Il décrit ses oeuvres assez rationnellement: ” Ce qui me passionne le plus, beaucoup, beaucoup davantage que tout le reste dans mon métier – c’est le portrait, le portrait moderne. Je le cherche par la couleur et ne suis certes pas seul à le chercher dans cette voie. Je voudrais, tu vois, je suis loin de dire que je puisse faire tout cela mais enfin j’y tends, je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d’alors apparussent comme des apparitions. Donc je ne nous cherche pas à faire par la ressemblance photographique mais par nos expressions passionnées, employant comme moyen d’expression et d’exaltation du caractère notre science et goût moderne de la couleur. Ainsi le portrait du Dr Gachet vous montre un visage couleur d’une brique surchauffée et halé de soleil, avec la chevelure rousse, une casquette blanche dans un entourage de paysage fond de collines bleu, son vêtement est bleu d’outremer – cela fait ressortir le visage et le pâlit malgré qu’il soit couleur brique. Les mains, des mains d’accoucheur, sont plus pâles que le visage. Devant lui sur une table rouge, des romans jaunes et une fleur de digitale pourpre sombre.”9 La particularité de la lettre française est, avant tout, une question de tradition et de forme. Il serait pourtant erroné de voir le manque de sentiments et de sincérité derrière cette distance française. C’est effectivement dans ses lettres que Marcel Proust, qui pourrait être soupçonné en premier lieu de ce péché, découvre une sensibilité imprévue et une capacité à la compassion. Ce n’est pas pour annoncer une de ces métaphores préférées qu’il écrivit à Anne de Noailles: “… car dans l’homme le plus méchant il y a un pauvre cheval innocent qui peine, un c¦ur, un foie, des artères où il n’y a point de malice et qui souffrent. Et l’heure des plus beaux triomphes est gâtée parce qu’il y a toujours quelqu’un qui souffre”.10

Pourtant le quotidien d’aujourd’hui semble avoir fait l’effort historique autour de la langue française chose lointaine et inutile même en France. La littérature du 19ième siècle dort dans des rayons de livres, et la conversation en tant qu’art de dire, un reflet de la littérature et une forme de communication disparaît peu à peu. La notion de salon a perdu à nos jours son importance d’autrefois, alors qu’il était, dans ces temps, une forme de culture spirituelle de la société, une scène sur laquelle chacun pouvait monter. Toute culture de la pensée et sa manifestation qui était la partie intégrante de la vie des milieux vastes de la société intellectuelle a reculé à nos jours jusqu’à se replier sur un cercle étroit des littéraires et des intellectuels, pendant que les autres s’abandonnent aux moyens de communication plus élémentaires. En France d’aujourd’hui, rares sont les maisons et les milieux dans lesquels on puisse entendre un entretien dont l’objectif ne soit pas uniquement le bavardage, l’échange d’information ou un essai de faire exploser le plus rapidement possible ses connaissances. La conversation qui est un rite artistique où tout participant dévoile sa pensée lentement, de façon rythmée, en rangeant mentalement des subordonnées, en pensant aux épithètes sans oublier les métaphores chéries par Proust, en laissant le dernier son de l’autre sujet parlant se cogner contre le plafond de la salle et s’évanouir pour commencer ensuite son propre apport, sans se hâter, en respectant le rythme et l’euphonie, sachant accorder à sa voix une expression nécessaire dramatique, sans tomber pourtant dans le pathétisme. De petites pauses, quelques gestes et un sourire retenu (surtout pas une gesticulation effrénée et un rire nerveux qui accompagnent l’entrée sur scène d’une personne qui n’est pas sûre d’elle-même) y sont à leur place. Ce genre de conversation est un droit conscient du à la tradition des salons français. Il ne s’agit pas d’un essai pour retarder son déclin, mais plutôt d’un désir de s’en servir comme d’un rite. Evidemment, la conversation moyenne d’un français d’aujourd’hui sera aussi orageuse, bruyante et embrouillée que celle d’un letton ou d’un américain, pourtant elle aura assurément plus de brillance de pensée et d’expression.

La négligence contemporaine, la hâte et le manque de style ont touché la culture des lettres française en moindre mesure. Bien qu’il n’y ait rien de plus subjectif que l’expérience personnelle, j’ai révisé ma correspondance en français qui n’est pas très abondante et reflète presque exclusivement les contacts de travail – elle comprend affaires des musées, conférences, voyages, recherches généalogiques, liens embrouillés familiaux des ducs de Courlande Biron avec la France. Ces lettres sont étranges et anachroniques. Les destinataires ressemblent aux ombres des personnages de Proust tombant du côté des Guermantes. Les lettres courtes, mais gentiment prévenantes de la duchesse Violette de Sagan et de la comtesse de Pourtalès, envoyées du château de Marais, les courriels énergiques de Madame de Andia, les feuilles longues, polies et d’un esprit pratique de la comtesse de Bagneux, les cartes postales laconiques de la comtesse de Bartillat, la lettre dans un esprit quasiment du 19ième siècle du comte de Maigret – c’est comme un écho d’un monde d’antan qui trouve toujours sa place en France contemporaine, bien que caché derrière les grilles hautes des parcs des domaines, derrière les murs épais des hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain ou des appartements des boulevards chics. Pourtant ces lettres sont des témoignages de l’expression d’âme des humains, et leurs auteurs ne diffèrent en rien des autres, l’ère du snobisme n’est pas pas révolu, cependant la tension tracée par Proust entre la noblesse de classe et celle des biens, entre les intellectuels et les préjugés de la noblesse, n’existe presque plus ou guère. Et les armoiries ne figurent plus sur le papier à lettres, contrairement à l’Allemagne. Parmi les acquis de l’époque démocratique, on compte la chute des barrières sociales, pourtant le fardeau des conventions sociales, du caractère et des traditions nationales peut surgir en France d’un moment à l’autre.

Ma correspondance avec Laurent de Commines remplit tout un classeur. Cet architecte me semble être descendu du 19ième siècle, du temps, où John Ruskin prêchait la synthèse d’architecture, de morale et des sentiments. Ou, au moins, comme Emilio Terry qui, à l’époque où l’Europe marchait d’un pas envers le modernisme, fuyait la réalité et concevait des pavillons néoclassiques dans les parcs tant pour lui-même, tant pour un autre individu situé en dehors du temps – Carlos de Beistegui.

Ce descendant de Philippe de Commines, chroniqueur de la cour du duc de Bourgogne, flânait pendant trois années consécutives à travers la campagne lettonne en cherchant, parmi le ruines post soviétiques, des ombres de la civilisation aristocratique disparue pour peindre sur leur fond ses visions passionnées. Laurent de Commines était capable de saisir les vraies notes de la culture des domaines balto-allemands, contrairement au roman de Marguerite de Yourcenar “Le Coup de grâce” qui avait pourtant passionné Commines et l’avait amené dans les pays baltes. (Yourcenar témoigna sa méconnaissance des endroits et de l’époque décrits par elle – c’est un roman cruel avec une projection des passions méditerranéennes et d’un fantôme effrayant du bolchevisme sur les scènes des derniers jours du mode de vie aristocratique dans un domaine balte). Les lettres de Commines accompagnées par ses dessins révèlent la diversité française à son sens le meilleur, d’autant plus que les impressions nostalgiquement décadentes sont vêtues d’un style épistolaire français classique. La lettre écrite le 15 décembre 2003 parle de la transformation des esquisses lettonnes en compositions conceptuelles: ” Ce n’est pas la lueur de l’incendie brûlant au loin qui éclaire ce cabinet mais plutôt la lumière légendaire du théâtre du temps. J’ai essayé d’y mettre quelque chose d’à la fois érudit et funéraire. Un peu comme l’aurait fait un collectionneur inconsolable du passé qui aurait pieusement accumulé dans son ” trésor ” maquettes ruinées, objets de fouilles sauvés des pillages et autres artefacts d’un monde à lui seul lisible. Quelque chose à mi-chemin entre le médailler et le musée de cire. Ces pâles fantômes alignés sur leurs étagères, disent mieux que toutes mes lettres le sentiment de mélancolie tragique que j’ai éprouvé en explorant, grâce à vous, les ruines de votre histoire. ” Les plus beaux paradis sont ceux qu’on a perdu” a dit le poète, et je crois, avec mon pinceau, n’avoir fait d’autre que de paraphraser éternellement ces mots. Comment pourrait-il être autrement quand on a en soi, chevillée à l’âme, la nostalgie des choses enfuies et des enfances heureuses.. ?”

Il ne faudrait pas conclure précipitamment que vous connaissez déjà le caractéristique de la culture française (à l’exception de la jeune génération et du milieu contemporain) si vous croyez possible de vous répandre en allocutions cordiales et de terminer avec une chose comme “ciao”. On ne vous comprendra pas. Stendhal avait raison. Le souffle de la tradition tient en particulier à la conclusion des lettres. C’est encore et toujours la parade des formules de politesse avec leurs nuances raffinées en commençant par des “sentiments les meilleurs” jusqu’au cérémonial raide presque offensant. Les auteurs des lettres ont fait des efforts séculaires pour montrer leur génie de transformer ces quelques mots ou phrases avant la signature en preuve de leur invention. Bien sûr, on pourrait écrire tout simplement “votre serviteur obéissant” ce qui n’est, par miracle, utilisé aujourd’hui que dans la correspondance avec le pape de Rome. La formule la plus habituelle des lettres officielles est maintenant “Veuillez agréer l’expression de ma considération distinguée”. Mais c’est ennuyeux. Les écrivains, au moins, ont toujours fait tout leur possible pour ne pas tomber dans la banalité par leur correspondance et pour ne pas s’y répéter. Joseph de Maistre termine la lettre écrite en 1807 au comte Fjodor Golovkine par une formule littéraire qui devrait démontrer qu’il est possible d’éviter la formule de politesse obligatoire: “Bonjour, Monsieur le comte, je ne sais plus tenir la plume ; permettez-moi de finir sans compliment, en me recommandant à votre bonne souvenance “.11 Marcel Proust, dans les lettres à Anne de Noailles, se sert d’un diapason très vaste, depuis le ton sec “votre respectueux” jusqu’au légèrement relâché “à vos pieds, Madame”. Guy de Maupassant compose pour la comtesse Potocka ” Je vous envoie, Madame, tout ce qui peut être agréable en moi “, mais Arthur Rimbaud, dans une lettre ironique à son ancien professeur, use d’un “bonjour de c¦ur” évasif. N’importe quelle de ces inventions peut se trouver à la fin de la lettre contemporaine. Dans les messages amicaux, il y aura souvent un gentil “avec mes amitiés” (exprimant les sentiments amicaux, mais difficilement traduisibles en letton) ou un “amitiés” tout court. Or, si, à la fin d’une lettre quasiment officielle, vous ne trouvez pas “avec mes meilleurs sentiments”, mais “avec mes sentiments les meilleurs”, cette inversion de l’adjectif fait penser du désir de votre correspondent d’exprimer une froideur à peine sensible. Dans les lettres des français – plus que dans celles écrites par des représentants d’autres nations – on peut trouver des points de suspension, des exclamations et des points d’interrogation faisant preuve du désir de manifester au destinataire de façon la plus émotionnelle possible leurs pensées, leurs sentiments, leur état d’âme.

Et encore une marque essentielle des lettres françaises – si l’auteur veut manifester son estime à votre égard, la lettre ne sera pas composée sur ordinateur. Il est possible que l’écriture soit désespérante et que le stylo ait glissé d’une rapidité violente, néanmoins ces pages seront une salutation des époques quand les occupations quotidiennes, l’entraînement intellectuel consistaient à écrire des lettres. Il serait erroné de penser que, dans toutes les lettres qui porterait à nos jours une nouvelle de France, l’héritage de Madame de Sévigné se fît entendre. Il y a aussi beaucoup de hâte et de superficie internationales, et il existe aussi beaucoup d’autres manières de dire et de communiquer sa pensée à l’autre – un mot abrupt, une exclamation, un geste, une grimace. N’en parlons pas des lettres magiques OK qui sont capables de remplacer tant de vides dans le discours et de fonder une compréhension entre les hommes. Quant aux lettres – elles sont facilement “remplacées par une façon plus contemporaine de communication – les mels. “

Stendhal. Rome, Naples, Florence. – Paris, 1927, t. 1, p. 176.

Ibidem, p. 169.

Les essais de Montaigne. Etude et analyse par Gustave Lanson. – Paris, s.a., p. 315.

Lettres de Mme de Sévigné. – paris, Hachette, s.a., p. 51-52.

Mémoires de Louis XIV publiés avec une Introduction et des Notes par Jean Longnon. – paris, 1927, p. 11.

La Lettre de Fénelon d' après: www.ibiblio.org/pub/docs/books/guttenberg

Texte en français d' après Juskevics J. Hercoga Jekaba laikmets Kurzeme. – Riga, 1931, p. 58.

Castelot A. Talleyrand ou le cynisme. – Paris, 1980, p. 418.

La lettre de Van Gogh à sa soeur du 9 juin 1890, citée d'après webexhibits /vangogh /data /letters

La Revue de Paris, mars-avril. T.II – Paris, 1931, p. 15.

Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. – T.I, Paris, 1951, p. 51.

Published 5 December 2005
Original in Latvian
Translated by Astra Skrabane
First published by Rigas Laiks 7/2005 (Latvian version)

Contributed by Rigas Laiks © Imants Lancmanis / Rigas Laiks / Eurozine

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Read in: FR / LV

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