Le sarkozysme, mort de la Ve République ?

Depuis l’élection présidentielle de 2007, les commentateurs se sont beaucoup penchés sur l’exercice du pouvoir par le nouveau président de la République. Nicolas Sarkozy a d’emblée surpris, choqué, intrigué dans sa conception du rôle présidentiel. Conséquence centrale, l’étude du ” sarkozysme ” semble avoir surgi dès les premiers jours de pouvoir présidentiel par son nouveau titulaire, sans que nous soyons toujours sûrs du sens à donner à l’exercice. L’analyse n’est-elle pas venue trop tôt ? Identifier Sarkozy et le sarkozysme, n’est-ce pas se faire plaisir en renouant avec le mythe du président tout-puissant dont Jacques Chirac nous avait privés, et surestimer l’impact de la psychologie des dirigeants sur les choix politiques ?

Car, indéniablement, l’articulation entre le rôle du Président et celui joué par d’autres au pouvoir est digne d’intérêt. On pense évidemment au Premier ministre François Fillon qui résiste à l’usure du mandat et mène de façon déterminée une politique orientée à droite, mais aussi au préfet Claude Guéant à l’Élysée dont les choix pèsent sur toutes les orientations stratégiques. L’observation des politiques publiques et de leur impact, la mise en oeuvre des lois, la réorganisation du champ politique induite par ce qu’on appelle ” l’ouverture ” devront se juger à l’aune du temps long. Un bilan de mandat, une comparaison entre premier et second mandat en cas de victoire de Nicolas Sarkozy en 2012 seront nécessaires.

Sans doute doit-on envisager deux approches complémentaires. D’ores et déjà, certaines évolutions institutionnelles sont nettement perceptibles ; la question de leur enracinement mérite d’être posée. Les interrogations que pose le comportement de Nicolas Sarkozy autour de la fonction présidentielle sont centrales. Elles ont relancé deux débats. Le premier sur les contre-pouvoirs que la mixité du régime de la VeRépublique a traditionnellement alimentés mais jamais avec cette acuité ; ce débat était resté en arrière-plan depuis la cohabitation de 1997, suivie d’une présidence classique de Jacques Chirac. Le second débat porte sur la nature même de cette fonction présidentielle dont le titulaire à distance du jeu politique quotidien était censé représenter une vision et une hauteur de vue, alors même que Nicolas Sarkozy fonctionne selon un principe de ” surexposition “.

Le “moment Sarkozy ” n’est pas seulement accélération, il est tout à la fois dévoilement et bouleversement systémique. En 2000, le quinquennat avait modifié l’équilibre institutionnel sans qu’on puisse véritablement en évaluer la portée dans les années qui ont suivi. La frénésie réformatrice qui caractérise le quinquennat version Sarkozy invite à examiner de plus près les évolutions intervenues sur trois points : la figure présidentielle, la répartition des pouvoirs entre parlement, gouvernement et président, et le rôle de l’État. Elle invite ensuite à proposer des scénarios concernant la sortie ou l’enracinement du sarkozysme.

Hyperprésidence et fin du mythe présidentiel

Avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy la fonction présidentielle a été conquise à la hussarde. François Mitterrand ou Jacques Chirac avaient dû s’y reprendre à plusieurs fois pour atteindre l’Anapurna présidentiel. Pour Nicolas Sarkozy, la première tentative a été la bonne. Cela change le sens de cette victoire. Si personne ne doute qu’il s’agisse d’un accomplissement essentiel pour lui, chacun comprend aussi que son ambition s’exprime sur un éventail de champs toujours plus étendu : le champ politique classique, mais aussi le pouvoir économique, ou de manière plus large encore la transformation des valeurs et des déterminants de la société française dans une geste populiste qui n’a pas eu d’équivalent depuis les débuts de la Ve République. Cela explique la profusion des discours et des gestes symboliques. En décembre 2007, le discours de Latran affirme ainsi que ” dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur “, questionnant frontalement le principe de laïcité. Depuis le début de son mandat, Nicolas Sarkozy n’a eu, dans un autre registre, de cesse de mâtiner les politiques d’égalité à la française de ” discrimination positive “, notamment dans sa politique de nomination dans l’administration. Ses convictions en ce domaine étaient d’ailleurs déjà connues et affirmées lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.

C’est peu dire que Nicolas Sarkozy a changé le profil du titulaire de la fonction présidentielle. Fini le lien consubstantiel entre le président de la République et l’intérêt général, fini le mythe de l’État impartial dont il ne serait que l’incarnation et le prolongement. Il a totalement rompu avec la conception de la Ve République qui faisait du Président un haut personnage, énonçant une vision stratégique, protégé des aléas du quotidien et intervenant selon des modalités au moins solennelles et souvent sibyllines. Le chef de l’État conçoit son rôle en termes d’implication permanente. Sans cesse exposé, sans cesse motivé, il est toujours sur la brèche. Quand un problème existe, il le soulève, s’il ne fait pas mine de le résoudre immédiatement. Ainsi en est-il par exemple de sa détermination à soulever la question des retraites en pleine campagne des élections régionales, alors que le chômage et la précarité augmentent. Il y a là une relation au temps qui fait pour le moins contraste avec les habitudes politiques. Décalage dans l’ultraréactivité, décalage aussi lorsqu’il s’agit d’importer la prospective à l’horizon 2050 au coeur du quotidien des Français qui vivent aujourd’hui une situation d’emploi marquée par de nombreuses discriminations et l’angoisse du lendemain.

Le corps et l’esprit de Nicolas Sarkozy sont devenus totalement indissociables, projetant la figure présidentielle dans une autre dimension. Cet activisme se déploie du plus local au plus global, face aux pêcheurs bretons ou haranguant les grands de ce monde au G20. La tribu présidentielle ajoute encore à l’exotisme de cette présidence. Les épouses et les enfants sont toujours là, à l’arrière-plan, souvent plus visibles encore, veillant par leur présence à rappeler la virilité du Président et à suggérer un phénomène dynastique. N’oublions pas que depuis qu’il a été élu président, Nicolas Sarkozy a divorcé, s’est remarié, a adoubé son fils aîné en politique, a failli lui transmettre le pouvoir dans son ancien fief des Hauts-de-Seine, et que les pensées et les actes de Carla Bruni-Sarkozy sont devenus un sujet de commentaire politique…

Le nouveau Président assume son goût pour l’entreprise et n’hésite pas à plaider sur le rôle social positif des ” riches “. C’est une suite logique des choix de son parcours politique, restant notamment associé de son cabinet d’avocat alors qu’il était ministre de l’Intérieur. En mettant systématiquement en scène une relation décomplexée à l’argent et à ceux qui en possèdent (le Fouquet’s, les amitiés avec Vincent Bolloré ou Martin Bouygues, l’augmentation de son traitement présidentiel), ou l’exaltation de l’apport des riches à la nation (bouclier fiscal), il illustre une conception où le pouvoir politique ne vaut que dans son imbrication au pouvoir économique. Cela ne lui interdit pas, en période de crise, de stigmatiser les traders, ou les bonus des dirigeants des banques et de plaider pour un plan anticrise européen. Mais ces déclarations ne remettent pas en cause le changement de paradigme présidentiel. Ce n’est plus au sein des institutions publiques que celui-ci va chercher sa force et son rôle d’influence, mais auprès d’individus et de réseaux privés. Jacques Chirac, François Mitterrand, Georges Pompidou entretenaient chacun à leur manière des relations avec le monde des affaires. On est pourtant là dans un autre registre. Plus qu’un mélange des genres, cette attitude traduit, au nom de l’absence de tabous, la volonté de mettre fin à une certaine exception française reposant sur le primat de la puissance publique. Ce changement de panorama exprime aussi un changement d’époque où devenir président de la République française n’est plus l’alpha et l’oméga d’un destin1. À la volonté politique s’ajoute une évolution objective. Le volontarisme politique doit composer avec les pouvoirs économique et financier, le concert des nations s’est mondialisé.

L’énergie que Nicolas Sarkozy met à occuper sa fonction n’interdit donc pas de penser qu’il pourrait se consacrer à un autre rôle de pouvoir. L’hyperprésidence emporte dans un même mouvement une désacralisation. Qui aurait pu imaginer François Mitterrand finir son parcours professionnel à la tête d’une banque, d’un cabinet d’avocat ou d’une grande entreprise ? Un scénario qui n’est pas improbable pour Nicolas Sarkozy, qu’on imagine mal se contenter de siéger au Conseil constitutionnel au titre de ses anciennes fonctions2. On se rapproche d’une conception à l’américaine, où il y a une vie réussie après la présidence, ou même la candidature à la présidence, comme l’illustrent George Bush, Bill Clinton ou Al Gore. C’est aussi le signe d’une évolution où les liens entre pouvoir politique, économique et médias et leur imbrication deviennent de plus en plus évidents.

Dans cette nouvelle configuration, la place à donner aux élections, l’organisation des campagnes électorales et plus largement de tout le champ politique sont un sujet d’interrogation. La montée des abstentions, la conscience des électeurs que l’essentiel des pouvoirs est déterminé ailleurs que dans cette arène électorale, ne sont que l’un des signes supplémentaires de la crise de confiance entre les Français et leurs hommes politiques. La désacralisation de la fonction présidentielle n’a pas été dans le sens d’un rapprochement du monde politique et des citoyens. Au contraire, parce qu’elle s’accompagne d’un vrai activisme lorsqu’il s’agit de placer des proches au mépris des règles déontologiques, du sentiment d’une navigation politique à vue et d’une perte de la dignité présidentielle, elle a renforcé chez les Français le sentiment d’arbitraire et leur déception à l’égard d’un Nicolas Sarkozy qui avait suscité en 2007 des espoirs qui dépassaient largement la droite traditionnelle. Cette désacralisation est vécue par une majorité d’électeurs comme un abaissement de la fonction et non comme une normalisation institutionnelle.

Il y a là une situation inédite. Des questions qui n’existaient pas prennent un sens : Nicolas Sarkozy va-t-il se représenter ? L’état de son camp plaide pour un oui sans nuances. Mais la cyclothymie présidentielle ouvre en théorie d’autres possibilités, comme la baisse de sa cote de popularité. La maîtrise de l’UMP lui assure en théorie toute latitude pour ne rendre de comptes qu’à lui-même si on fait exception de l’opposition irréductible de Dominique de Villepin. Un second mandat pourrait-il être marqué par la même frénésie ou se placer à l’inverse, du côté de la gestion ? Nicolas Sarkozy peut-il être battu ? Si l’incertitude fait consubstantiellement partie du jeu politique, elle a pris depuis 2007 une forme nouvelle puisque ce sont les règles mêmes du jeu présidentiel qui ont été bouleversées. Les choses apparaissent à la fois plus incertaines et beaucoup plus liées au seul comportement et aux choix politiques de Nicolas Sarkozy.

Diminutio capitis de l’État, destruction des services publics

L’objectif d’une diminution du rôle de l’État fait partie des principes idéologiques du sarkozysme. Il est intéressant d’observer la façon dont cet objectif a été mis en oeuvre dans le cadre de la démarche de la RGPP.

La révision générale des politiques publiques (RGPP), importée du Canada où elle avait été mise en oeuvre par le Premier ministre libéral Jean Chrétien3, a été lancée dès le lendemain de son élection par Nicolas Sarkozy. François Fillon, Claude Guéant, Éric Woerth jouent un rôle clé dans ce processus, officiellement entré depuis décembre 2009 dans son acte II. De 2007 à 2009, la RGPP s’est traduite par 374mesures dont l’énumération n’aurait pas grand sens. Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’une démarche au départ saluée, y compris par les principaux responsables socialistes en matière économique (Michel Sapin, Didier Migot), est aujourd’hui devenue un processus de remise en cause de plus en plus ouvert des services publics. Adossée au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux lors des départs en retraite, mise en oeuvre dans un contexte de déficit budgétaire croissant – qui s’explique notamment par les choix fiscaux du gouvernement ­, la RGPP s’est traduite depuis 2007 par la destruction de près de 35 000 postes d’enseignants dans l’enseignement public, et de près de 4 000 dans l’enseignement privé sous contrat, sans parler des postes d’enseignants dans les réseaux d’aide aux élèves en difficulté (RASED). Dans l’enseignement supérieur les suppressions d’emplois accompagnées d’une montée de la précarité (20% des enseignants à l’université sont des agents contractuels) dans un contexte historique de grande pauvreté des universités par rapport aux grandes écoles4, et l’autonomie des universités sur fond de pénurie budgétaire expliquent les mobilisations de plus en plus suivies du mouvement ” Sauvons la recherche “. et leur résonance dans les médias. Le retentissement de ce mouvement traduit la crainte – fondée – que la qualité de la recherche et au-delà les capacités d’élaboration intellectuelle et de pensée soient durablement handicapées en France.

Toutes ces suppressions de postes s’accompagnent de mesures de réorganisation qui, décidées de manière technocratique, se sont traduites dans des secteurs aussi essentiels que l’emploi et le logement par une vraie dégradation du service rendu qui peut parfois confiner à la paralysie. Ainsi la création de Pôle Emploi (fusion des Assedic et de l’ANPE) destinée à créer un ” grand service de l’emploi performant ” a pour l’instant abouti à des retards importants dans le traitement des dossiers, un allongement des délais entre le licenciement et le premier entretien des chômeurs et une augmentation du stress professionnel des agents de Pôle Emploi. En matière de logement social, la RGPP s’est d’abord traduite par une politique d’économies budgétaires, alors même que le parc de logements sociaux en France n’a pas progressé depuis vingt ans. Enfin, en matière de santé, la loi Hôpital patients santé et territoires (HPST) légitime une démarche de rentabilité dans le traitement des patients qui pourrait conduire à terme à une remise en cause de l’universalité de la couverture des patients par la Sécurité sociale.

Que dire de la méthode ? La RGPP, méthode technocratique de coupes claires, où la concertation avec les syndicats des personnels concernés et a fortiori les usagers du service public est réduite à sa plus simple expression, invite à requalifier l’esprit réformateur censé souffler sur le sarkozysme. Les fonctionnaires, sommés de faire preuve d’esprit de soumission et de performance, subissent une vraie diminution de leur dignité professionnelle. Ce sont d’ailleurs d’autres fonctionnaires, ceux-là dits ” hauts fonctionnaires5 ” qui dans une myopie zélée organisent leur propre rabaissement. Les conditions de travail dans les services publics de l’éducation et de la santé notamment n’ont jamais été aussi difficiles. L’esprit comptable l’emporte partout. Cette situation est plus que préoccupante, angoissante. Car en cas d’alternance politique que reconstruire sur le champ de ruines des services publics, alors que la dette continue sa progression ? Les citoyens, culpabilisés par le discours gouvernemental sur le déficit public, assistent en spectateurs impuissants à une entreprise de destruction qui va affecter directement leurs enfants. Face à cette situation, l’opposition institutionnelle n’a guère réussi jusqu’à présent sa mobilisation. À elle d’illustrer ce que pourrait être le mieux d’État et à pratiquer sans tabous des scénarios de réaffectation des moyens budgétaires de l’État qui mettraient enfin l’accent sur les investissements d’avenir et la garantie de l’égalité : éducation, logement, emploi, santé.

Cette rapide description illustre comment le mélange d’un choix de principe sur la diminution du rôle de l’État couplé à la recherche systématique d’économies peut conduire à des mesures qui ne peuvent à terme qu’entraîner une dégradation durable du niveau de vie et de développement national. Elle doit également être mise en rapport avec les discours politiques officiels sur le primat de l’éducation, ou la réforme du lycée censée permettre aux élèves de meilleurs choix d’orientation, ou à l’énonciation pompeuse du droit au logement opposable. Car que valent tous ces mots face à des actes politiques et administratifs dont l’orientation vers un moins d’État porteur d’une aggravation des inégalités dans des droits vitaux, et pratiquée à la hache ne s’est jamais démentie depuis trois ans ?

Naissance du goût pour les contre-pouvoirs

L’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy a eu un effet de balancier. Elle a donné au débat sur les contre-pouvoirs une force nouvelle. Depuis l’alternance de 1981, ce sujet avait été délaissé par la gauche de gouvernement, qui avait pu juger à travers les deux mandats de François Mitterrand des avantages que présente le contrôle des leviers de l’action publique. La cohabitation de 1997 à 2002 avait certes illustré la possibilité d’une évolution de la Ve République vers un régime où le respect des droits du Parlement avait trouvé une nouvelle vigueur sous le gouvernement de Lionel Jospin. Mais le choix d’inversion du calendrier avait fermé cette fenêtre parlementariste. Ces cinq années n’auront décidément été qu’une parenthèse…

Aujourd’hui, l’activisme présidentiel jette d’abord une lumière crue sur l’absence de contre-pouvoirs parlementaires. Procédure d’urgence incessante, ordre du jour bouleversé, inflation des projets de loi accablent les parlementaires réduits à l’état de chambre d’enregistrement. Mais au-delà, ce qui frappe, c’est que la volonté de contrôle par l’exécutif et l’arbitraire qui préside à ses décisions existent partout. Dans la conception sarkozyste, c’est l’existence même de contre-pouvoirs qu’il faut combattre férocement : dans les médias (explosion du temps de parole du chef de l’État et de ses proches conseillers, mais aussi décision de suppression de la publicité sur les chaînes publiques sans concertation, accentuant sa dépendance), collectivités locales mises devant le fait accompli de la suppression de la taxe professionnelle et de transferts de charges exorbitants dus au retrait de l’État sur les dépenses sociales, suppression de la justice de proximité alors même que la France est l’un des pays d’Europe où l’égalité de traitement en ce domaine ne progresse pas.

Face à cette offensive, l’opposition politique classique, et singulièrement le parti socialiste, apparaît largement désarçonnée. Celle-ci semble à la fois dépassée par le rythme présidentiel et par sa méthode de triangulation. Le Grenelle de l’environnement, le grand emprunt, l’affichage d’un volontarisme public au moment de la crise sont autant d’exemples. Mais c’est aussi tout simplement dans le vocabulaire et les concepts que Nicolas Sarkozy chasse ouvertement sur les terres de la gauche. Il veut ” réhabiliter le travail “, redonner leur dignité aux universités, écrit aux pédagogues sur l’égalité des chances, enjoint de faire lire la lettre de Guy Moquet et prône une société de la diversité. Affirmer comme le font les socialistes que les politiques menées sont en contradiction flagrante avec le discours tenu ne suffit pas. Pillée de ses mots, contrainte à la réactivité et dépourvue d’initiative, l’opposition à Nicolas Sarkozy ne reste vraiment crédible que dans les collectivités locales où elle peut prouver au quotidien qu’elle met en oeuvre des valeurs et un discours qui ne convainquent plus au niveau national. C’est aussi là qu’elle a su faire preuve d’inventivité, allier parfois l’économie et l’écologie, donner à la culture la place qu’elle mérite pour recréer du lien social. Mais l’assèchement financier programmé des collectivités locales risque de les contraindre largement à l’impuissance dans les années à venir. La diminution du nombre des élus locaux par la fusion entre les mandats de conseiller régional et de conseiller général programmée en 2014 doit aussi être lue à la lumière de ce contexte d’impuissance budgétaire. Moins de ressources et moins d’élus, avec une volonté affirmée de réduire les pouvoirs des départements sont aussi pour le président de la République une manière de réduire les contre-pouvoirs. La rationalisation des échelons de pouvoir locaux est séduisante dans le principe. Mais derrière les principes, il faut voir ce que veut le chef d’orchestre.

Ce sont des organismes comme le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État qui, depuis quelques mois, assument parfois le rôle le plus visible de contre-pouvoir. La décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 d’annuler la taxe carbone au nom du principe d’égalité face à l’impôt, ou celle du Conseil d’État du 30 décembre 2009 annulant la décision par laquelle le Premier ministre avait refusé de prendre le décret organisant la compensation des charges au profit des conseils généraux de France sont deux exemples récents des limites juridiques posées par des instances qui n’ont aucune vocation d’opposition institutionnelle. Face à l’activisme sarkozyste, ces décisions sont autant de signaux. Le désir de stabilité juridique, le choix fait par les hauts magistrats de rendre des décisions certes motivées en droit, mais qui ne peuvent être lues que comme des symboles favorables à l’opposition, sont importants.

Alors que la cote de popularité du Président n’a jamais été aussi basse, la société française plébiscite toujours l’élection présidentielle comme le moyen de rompre avec le sarkozysme. Un sarkozysme qui réussit la synthèse des oppositions entre un sentiment de duperie à droite et un rejet massif à gauche. Sans pour autant que cette impopularité puisse aujourd’hui s’incarner dans un candidat opposant incontournable. Cette situation pose de vraies difficultés dans la perspective de 2012. Les évolutions de la scène politique à gauche – création d’Europe écologie, du parti de gauche par Jean-Luc Mélenchon, du NPA –, la langueur du Modem, ne faciliteront pas une dynamique commune avec des socialistes accusés tout à la fois d’être hégémoniques et de manquer d’un projet, mais qui continuent de représenter la meilleure chance d’alternance présidentielle.

L’une des principales forces du sarkozysme, au-delà de ses contradictions, est bien d’avoir su jouer avec les lacunes et les limites de l’opposition de gauche classique qui préexistaient à l’élection de 2007 sans que la droite classique s’en soit emparée. Il a révélé de manière inédite la fragilité des jeux de rôle politiques entre majorité et opposition, le décalage entre le discours politique et les comportements humains. La politique d’ouverture a déstabilisé des socialistes qui ont vu passer dans l’autre camp des personnalités comme Bernard Kouchner, ou dans un genre différent Éric Besson assumant aujourd’hui avec assurance le ministère le plus marqué à droite du gouvernement Fillon. Lorsque Michel Rocard copréside la commission sur le grand emprunt, quel que soit l’intérêt du rapport qui en est issu et de ses positions, c’est aussi un coup porté à l’opposition. Que Dominique Strauss-Kahn soit adoubé au FMI grâce à ses mérites mais aussi la campagne du nouveau président de la République, et le sentiment s’installe que rien ne sera plus comme avant. Cette situation après avoir été parfois comprise et appréciée au nom de l’union nationale, laisse aujourd’hui une grande partie de l’électorat perdu, parfois écoeuré mais aussi désireux d’imaginer les termes d’une reconstruction qui ne pourrait prendre que la forme d’un nouveau contrat social.

L’incertitude sur l’issue de 2012, le sentiment que le sarkozysme doit être combattu dès aujourd’hui, expliquent que les mobilisations associatives pour créer des contre-pouvoirs aient pris une nouvelle ampleur, bénéficient d’une audience grandissante et fassent preuve d’une réelle efficacité face à l’administration et au pouvoir politique. C’est le cas bien sûr de Réseau éducation sans frontières (RESF) dans le domaine de l’immigration, des associations regroupées dans l’Appel des appels, de Sauvons la recherche. Les mondes enseignant et judiciaire ont été particulièrement actifs mais la démarche de RESF née d’une mobilisation à la porte des écoles illustre la conjugaison de la quête de liens humains concrets et l’adhésion aux valeurs portées par la République et l’ordre constitutionnel. Le succès des sites politiques de l’internet comme Médiapart, Rue89, Bakchich, Le Post répond aux demandes croissantes d’informations et de commentaires politiques libres, de voix dissidentes. Les mobilisations contre la loi Hadopi sont un autre exemple significatif. L’outil internet a joué un rôle déterminant dans cette émergence.

L’engagement du monde associatif, la volonté de certaines personnalités engagées de suppléer à la confusion du champ politique traditionnel ont aussi contribué directement à la dynamique d’Europe écologie aux élections européennes de 2009. En sortant d’un système politique traditionnel le projet d’Europe écologie a suscité des vocations nouvelles, fait basculer des personnalités de la société civile ou des élus et personnalités des mouvances socialiste et communiste et obtenu un résultat électoral inattendu. Ce précédent illustre bien les perspectives et les difficultés nées aujourd’hui de l’atonie de l’opposition partisane classique. Comment conjuguer l’ouverture du champ politique aux débats d’idées, aux projets et au militantisme des combats associatifs, et une victoire électorale aux présidentielles, élection la plus ” professionnalisée ” qui soit dans le système de la Ve République ? La recherche désespérée d’un candidat(e) ne peut pas en effet l’emporter sur la promotion d’un autre projet que le projet sarkozyste. Le besoin d’un lien consubstantiel entre le projet, l’exemplarité humaine et le leadership n’a jamais été aussi fort dans le pays.

En l’absence de candidature crédible la possibilité d’une nouvelle cohabitation issue des élections législatives est un scénario à envisager. Il supposerait évidemment que le rejet de l’actuel président de la République ne s’accentue pas encore et que sa réélection reste possible dans l’esprit des électeurs. Alors que Nicolas Sarkozy bat des records d’impopularité, certains commentateurs imaginent en effet que ce mouvement pourrait s’accentuer encore, rendant impossible une nouvelle victoire de Nicolas Sarkozy, y compris en l’absence d’adversaire légitime. Cette situation pose également la question d’une éventuelle réouverture des candidatures à droite. Certes, le président de la République a verrouillé l’UMP et aucune démarche de primaires ne semble véritablement envisageable. Mais la résonance trouvée par Dominique de Villepin avec l’affaire Clearstream est un premier indice d’un malaise profond dans ce camp. Quant à la décision d’Alain Juppé de refuser de succéder à Philippe Séguin à la Cour des comptes, elle illustre au moins la possibilité théorique d’un recours comme candidat à la présidentielle.

À gauche, la démarche des primaires qui va selon toute probabilité être entérinée par les socialistes peut être une chance, si elle inclut l’ensemble de la gauche, si ses résultats n’apparaissent pas connus à l’avance, et si elle n’exacerbe pas les rivalités de personnes6. S’y ajoutent deux conditions déterminantes : que le match entre les personnes s’accompagne d’un vrai débat d’idées et de projet et… qu’il crée un vrai effet de mobilisation électorale.

Ce sont là d’ailleurs des conditions qui, au-delà des primaires, sont sans doute nécessaires pour que la gauche s’enracine durablement au pouvoir en France. Si dans une victoire de la gauche en 2012 l’antisarkozysme l’emportait sur des motivations positives, cela pourrait être une sorte de péché originel pour le nouveau Président. Alors que la vie démocratique a tant déçu les citoyens, il est en effet a contrario vital de les rapprocher du monde politique dans le cadre d’un nouveau contrat politique auquel ils puissent croire et adhérer durablement.

Vers une nouvelle cohabitation ?

Lors de la campagne présidentielle de 2006-2007, l’évolution des institutions françaises dans le cadre du passage à une VIe République dont l’épicentre pencherait davantage vers le régime parlementaire7 – avec la difficulté que présente cette orientation sur l’élection du président au suffrage universel – avait été portée par Ségolène Royal et François Bayrou. Elle avait occupé une place non négligeable dans le débat plus vaste sur l’équilibre des pouvoirs, et la garantie des libertés publiques. Les élections de 2007 avaient pourtant ensuite confirmé – notamment la différence de participation des électeurs entre présidentielle et législative – combien la présidentielle restait l’élection reine alors que les législatives malgré un sursaut de gauche (TVA sociale) étaient marquées par une forte abstention.

En 2012, la question se pose pour les citoyens d’exprimer leur volonté de rééquilibrage des pouvoirs en cas de victoire par défaut de Nicolas Sarkozy, en envoyant à l’Assemblée nationale une majorité de gauche. Ce serait une première dans un contexte de quinquennat. Ce scénario serait d’une certaine manière un retour à la situation de 1997, à la différence près qu’à l’époque, l’élection du président de la République se faisait tous les sept ans.

Ce scénario présenterait l’avantage de donner une nouvelle force au lien entre projet et pratique du pouvoir dans une sorte de contrat de mandature entre les élus de la nation et les électeurs, d’éviter de dépendre d’une personne et de garantir une situation de meilleurs contre-pouvoirs. Indéniablement, on observerait dans ce cas un glissement vers un régime plus proche de la logique présidentielle : un président de la République élu au suffrage universel et un Parlement possédant lui aussi la légitimité des urnes avec des durées d’élection semblables. La différence essentielle tient évidemment à la désignation d’un Premier ministre et d’un gouvernement dont le lien serait avec le Parlement et non avec le Président.

Comment alors nos institutions évolueraient-elles ? Une nouvelle cohabitation signerait-elle fatalement une crise politique, voire une démission présidentielle ? Serait-elle le dernier acte d’une Ve République qui a aujourd’hui montré qu’elle ne comportait pas en son sein les contre-pouvoirs indispensables avec la réforme du quinquennat et un Président omniprésent ? Même si c’est au risque d’une crise, nous ne pouvons qu’appeler de nos voeux le fait que le Parlement retrouve aujourd’hui la place qui devrait lui revenir dans une démocratie moderne. C’est du rapprochement des démocraties participative et représentative que peut venir la restauration de la confiance entre la société française et ses représentants, et non d’un homme ou d’une femme providentielle.

Le débat sur la possibilité d'un retour de Dominique Strauss-Kahn en France pour la présidentielle de 2012 l'illustre également. Pour certains commentateurs, le poste de directeur général du FMI vaut mieux que celui de candidat à la présidentielle. Pour d'autres, rien ne peut se comparer à la course à la fonction présidentielle.

Jacques Chirac se contente pour sa part du rôle de Président retraité, au demeurant populaire.

Suppression d'un fonctionnaire sur six, amputation des budgets ministériels de 5 à 30%, privatisation des services publics dans les domaines de la santé, de l'énergie, des transports...

Valérie Pécresse a néanmoins annoncé un gel des suppressions de postes pour le budget 2010-2011.

Compte tenu de la situation actuelle, on peut imaginer que certains " hauts fonctionnaires " soient tentés par une résistance aux orientations de la RGPP. La difficulté est que le concept de fronde est par nature contradictoire avec certaines habitudes de réserve et de discrétion professionnelle.

Les candidats sont potentiellement nombreux au parti socialiste : entre autres, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande, Laurent Fabius, Ségolène Royal pour la génération " Jospin ", Manuel Valls, Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg pour la génération des quinquas.

La principale difficulté de cette approche est celle de l'élection du président de la République au suffrage universel. Qu'en faire alors qu'elle est entrée dans les moeurs et que c'est elle qui modifie concrètement l'équilibre des pouvoirs ?

Published 22 March 2010
Original in French
First published by Esprit 3-4/2010

Contributed by Esprit © Lucile Schmid / Esprit / Eurozine

PDF/PRINT

Newsletter

Subscribe to know what’s worth thinking about.

Related Articles

Cover for: Copy-cat machos

Copy-cat machos

Mittelweg 36 3–4/2023

On the rise of strongmen politicians (and a few strong women): why they are variations on a global theme. Also: Putin’s prospects after possible defeat; Xi’s reasons for keeping out; and Le Pen’s calculations on how to win.

Cover for: A ‘strong woman’

A ‘strong woman’

Marine Le Pen as change-maker

Conveying a traditionally maternal yet anti-patriarchal image, and espousing hardline nationalism and cultural conservatism while encouraging pluralism and gender liberalism, Marine Le Pen is mainstreaming far-right politics in France and beyond.

Discussion