L'ordre de l'informe

La construction sociale et politique du racisme dans la société française

“Un dictionnaire commencerait à partir du moment où il ne donnerait plus de sens mais la besogne des mots. Ainsiinformen’est pas seulement un adjectif ayant tel sens mais un terme servant à déclasser, exigeant généralement que chaque chose ait sa forme. Ce qu’il désigne n’a ses droits dans aucun sens et se fait écraser partout comme une araignée ou un ver de terre. Il faudrait, en effet, pour que les hommes académiques soient contents, que l’univers prenne forme. La philosophie entière n’a d’autre but : il s’agit de donner une redingote à ce qui est, une redingote mathématique. Par contre affirmer que l’univers ne ressemble à rien et n’est qu’informerevient à dire que l’univers est quelque chose comme une araignée ou un crachat.”1

Phénomène multiforme, le racisme s’est inscrit et continue de s’inscrire dans de multiples situations sociales et historiques. Il y est très souvent compris comme une forme “pathologique”, une sorte de virus qui viendrait infester le corps social ou encore comme un gène inhérent à toute identité individuelle ou collective, pour employer des métaphores. La société ou les individus contractent le virus ou libèrent leurs instincts profonds quand leurs “défenses immunitaires” s’affaiblissent, quand l’ordre politique et social ne suffit plus à maintenir les barrières nécessaires. Le racisme est le produit de l’anomie ou de la crise sociale, de la société de masse, la conséquence de la décomposition des mouvements sociaux ou celui d’un rejet incontrôlé d’une modernité déstructurante et envahissante.
Depuis longtemps, les sciences sociales ont montré les limites de telles métaphores2. Le racisme a souvent changé de forme et il n’est pas certain que sous ce vocable général ne se manifestent pas des phénomènes de nature très différente ayant chacun leur propre logique. Le racisme, ou plutôt les racismes, ont une histoire. Le racisme est une caractéristique directe de formes d’organisation sociale, un phénomène inhérent à certains types de rapports sociaux. Le racisme n’est pas la “tare de toute société” ou de toute construction identitaire et il n’existe pas un phénomène tel que “le” racisme qui viendrait envahir certains secteurs d’une société et la rendre malade ou s’emparer des individus pour les aliéner. Le racisme n’est pas plus un gène qu’il n’est un virus. Il est toujours lié à des situations historiques et des rapports sociaux qui ont leur logique et leur spécificité et dont il est l’un des traits. De ce point de vue, le racisme n’est jamais la cause des comportements ou des conduites sociales. Il en est toujours la conséquence. Il est inscrit dans les pratiques, dans les institutions et dans les corps, inséparable des rapports sociaux et des relations sociales dans lesquelles s’effectuent les constructions identitaires. C’est ce qui explique qu’il soit largement imperméable à toute campagne de moralisation, à toute argumentation rationnelle ou encore à tout rappel aux règles d’une égalité universelle. Le racisme est plus qu’une interprétation du monde social. Il est une façon de s’y définir, de s’y situer et mais surtout de le “pratiquer”, il est un mode d’expérience.
Pour analyser l'”expérience” raciste dans la société française, il faut donc abandonner l’idée banale et paresseuse de la “crise” et s’appliquer à comprendre positivement les rapports sociaux qui s’y développent et dans lesquels il est inscrit. Parmi les secteurs sociaux où le racisme peut être étudié, je voudrais aborder ici le problème de sa construction dans les milieux populaires et plus généralement dans ce que l’on désigne en France par banlieues, et présenter quelques observations à titre d’hypothèses3.1. Depuis une dizaine d’années, toutes les enquêtes montrent la multiplication de pratiques de discrimination ainsi qu’une ségrégation spatiale de plus en plus marquées. Les deux phénomènes sont de nature différente mais ont une forte tendance à se recouvrir. Ainsi, nombre d’habitants des zones urbaines périphériques se plaignent des discriminations qu’ils subissent en raison de la “mauvaise réputation” qui pèse sur leur quartier, auquel ils sont “identifiés”. Il vaut mieux éviter de donner son adresse lors d’une recherche d’emploi ou ne pas apparaître comme venant de tel endroit à l’entrée d’une boîte du nuit, ou même, plus banalement, dans un magasin. Stigmate “social” et stigmate “racial” ne sont pas séparables dans l’espace urbain et sont très souvent assimilés l’un à l’autre, tant par ceux qui les infligent que par ceux qui les subissent : on devient “arabe” et on se sent “arabe”, parce qu’on habite telle cité de banlieue.
Certes, la France n’est pas l’Amérique et ne connaît pas de ghettos de l’ampleur de celui de Chicago. Il n’empêche. Les villes sont de plus en plus clivées et ségrégées. Tout au long des années quatre vingt, à quelques exceptions près, les inégalités se sont accrues entre les villes centres et leurs périphéries et les mouvements de populations ont concentré les classes supérieures et moyennes dans les centres et les classes populaires et les minorités ethniques dans les banlieues4. Les distances sociales se vivent sur le double registre de l’éloignement spatial et de l’identification “raciale” négative. Les habitants de la banlieue sont “assignés” à des espaces périphériques dans la ville parce qu’ils sont pauvres ou n’ont pas les ressources économiques et sociales pour en sortir. Mais ils sont aussi “symboliquement” “cloués” à leurs quartiers parce qu’ils sont identifiés à des espaces marqués négativement et racialement (quelque soit l’objectivité de ce marquage, là n’est pas la question) auxquels ils ne peuvent échapper : les discriminations subies, mais aussi les manifestations de rejets, parfois ténues (un simple regard par exemple), limitent leur liberté de circulation et finissant par leur interdire certaines zones urbaines. Les habitants des centres leurs signifient qu’ils ne sont pas à leur place dans tel ou tel endroit5. Même quand ils acquièrent les ressources nécessaires à leur mobilité, ils portent “physiquement” et “culturellement” leur “infériorisation”. La cité leur “colle à la peau” : ” Quand t’arrives là-bas, ils te regardent d’une façon… Tu as envie de partir tout de suite ! Ils te regardent méchamment, ils te font sentir… Tu te sens trop rejetée6“. Aussi, les habitants des quartiers périphériques sont-ils placés dans la situation de revendiquer une liberté pratique (celle de circuler) qu’ils ne peuvent assumer symboliquement. C’est ce qui explique, dans leurs propos, la dialectique permanente de la dévalorisation et de la survalorisation de la cité : on cherche à en sortir et en même temps c’est un lieu de protection et de solidarité.
Mais cette inscription urbaine des identités et des rapports sociaux ne concerne pas seulement le centre et la périphérie. A l’intérieur des quartiers de banlieue, elle est redoublée par une fragmentation spatiale de plus en plus marquée. Dans de nombreuses banlieues, une micro-ségrégation s’est mise en place derrière le “voile” rassurant de la “mixité sociale”. D’une cage d’escalier à l’autre ou d’une tour à l’autre, l’atmosphère change avec la population qui a investi les lieux. Le territoire des cités est de moins en moins homogène. Il ressemble à une mosaïque de zones marquées matériellement et symboliquement par des ensembles sociaux définis tant socialement qu’ethniquement. Les tensions internes qui naissent des conflits d’appropriation de l’espace sont fréquentes et les affrontements inter ethniques ne sont pas non plus des événements rares. Ils opposent souvent les jeunes de deux cités voisines engendrant parfois des violences extrêmes. Les affrontements entre groupes de jeunes enclenchent des cycles de vengeance pouvant aller jusqu’à l’assassinat. Mais ces tensions traversent aussi très fréquemment une seule et même cité, les clivages ” ethniques ” servant de prétexte aux affrontements.
L’inscription spatiale des groupes se traduit aussi dans le langage, chacun ayant tendance à s’identifier par son appartenance à une sorte “d’ethnicité” mêlant la qualité d’habitant de tel quartier avec telle ou telle référence “ethnique” ou “raciale”. Inversement, les “autres” sont aussi identifiés en ces termes. La référence commune à la cité est ainsi déclinée selon les identités “ethniques”, “nationales” ou “raciales” de chacun, dessinant une sorte d’infra géographie du quartier et des solidarités. Le contenu positif de ces “identités” ou de ces “ethnicités” n’est jamais clairement affirmé. De fait, elles ne délimitent pas des pratiques culturelles ou sociales différentes, bien au contraire. Il ne s’agit presque jamais de micro-ghettos, au sens où existeraient des unités culturelles définies. Autrement dit, l’homogénéité sociale du quartier de banlieue s’accompagne de l’affirmation d’une hétérogénéité maximum de la population qui l’habite. Chacun se définit par la revendication d’une différence “naturelle” avec les autres : les “arabes” sont l’instrument de définition des “blancs” qui se veulent “français” ou, inversement les “toubabs” sont l’instrument de définition de ceux qui veulent se définir comme “arabes” : ” En fait, il y a Blancs et Blancs : les Blancs européens et les Arabes blancs. Tu reconnais quand tu vois un Arabe. Mais tu as le Blanc, le Français là…, celui qui éclate bien le porc… ” ” C’est bien de traîner avec un Arabe, c’est pas un corrompu. Karim, l’autre fois, il y avait des Français chez lui ; après on lui a dit : ” bidon, tu traines avec les Français toi ? Tu es un corrompu ! Vas-y ! Va traîner avec les Français ! Arrache-toi !”7

En deça de la distance entre les “gens” du centre et ceux “qui ne sont pas des gens”, s’établit ainsi tout un jeu de “distinction” sur lequel se fondent des processus de construction identitaire “négatifs” permanents et inachevés, sans cesse réaffirmés et recommencés parce que sans cesse démentis par les faits. A l’intérieur du quartier, les relations se construisent ainsi sur des séries de modes distinctifs selon des hiérarchies qui se croisent en permanence et dont le point de référence est extérieur : les habitants du centre ville par rapport aux habitants des banlieues, ceux de la cité par rapport à ceux de telle autre cité, les “français” par rapport aux “arabes”, les “arabes” par rapport aux “gitans” etc… On est au plus loin de l’image de la désocialisation et du manque d’intégration dessinée par nombre d’analystes qui expliquent les conduites observées par la généralisation de l’anomie ou la désaffiliation8. Bien au contraire, la vie sociale des cités de banlieue est paradoxalement très vivace. C’est ce qui explique, par exemple, les phénomènes récurrents de rumeurs qui supposent des réseaux denses de circulation de l’information.
A l’intérieur de la cité stigmatisée, le rapport à l'”autre” n’est pas une relation stable d’extériorité vis à vis de soi comme il peut l’être pour les catégories supérieures. Il est mouvant et instable, pratiquement informe. L'”autre” est d’autant plus proche que la proximité sociale et le stigmate subi le dissolvent dans une “identité” commune fondée sur une extériorité partagée et imposée. L'”autre” est quasiment installé en “soi” par le regard extérieur et par l’enfermement dans le quartier. L'”autre” empêche d’obtenir la reconnaissance. Ce n’est pas seulement le quartier qui “colle à la peau”, ce sont ses habitants, les voisins. C’est pourquoi, les habitants se plaignent peu de l’état de leur cité mais essentiellement de ses résidents, “ces gens-là”, surtout les “jeunes” et les “arabes”. Sur ce registre, il est très fréquent d’entendre des “jeunes” ou des “arabes” se plaindre aussi qu’il y ait “trop de jeunes et d’arabes” dans leur quartier. L’autre devient une menace pour l’identité personnelle. C’est ce qui explique le “racisme” obsessionnel de beaucoup d’individus, racisme qui ne s’exprime pas seulement à travers la violence du langage, mais aussi par le corps et les attitudes. Il s’agit d’abord d’affirmer une “différence” comme une sorte de point d’appui pour s’extirper du “marécage” que constitue le quartier. Mais il s’agit aussi, en même temps, en arrachant la part de l'”autre” qui est déjà en soi, de faire face à des processus sociaux qui dissolvent et rendent informes.
Porté par les institutions, les média ou rencontré à travers les classes moyennes, le regard extérieur unifie le quartier dans son extériorité à la société intégrée ou normale. La population se sent “mise dans le même sac”, dans une zone non définie, sans existence sociale, sans “forme”, une sorte de “magma” dans lequel tout le monde est englué. Il faut noter à ce propos, dans les langages dominants, la multiplication des adjectifs relevant de l'”informe” pour qualifier les banlieues : “zones” “non-droit”, “économie informelle” ou “souterraine” etc… Le racisme ” populaire ” consiste alors à se donner “forme” en construisant ou en produisant de l'”autre” informe. Il ne s’agit jamais d’identifier une altérité pour en rejeter l’étrangeté mais bien au contraire de se défaire de l’autre, de quasiment l’expulser de soi pour s”identifier” en s’en détachant soi-même. D’une certaine façon, il s’agit de se “nettoyer” ou de se “purifier”. C’est pourquoi, le racisme s’exprime souvent par l’obsession de la “saleté” qu’imposerait l'”autre”, par le rejet viscéral des “odeurs”, par la peur de la “souillure”. L'”autre” est toujours “sale” et “repoussant.” Les insultes, notamment, véhiculent ces processus dans lesquels la sexualité et le mépris pour les femmes et les homosexuels sont aussi inséparables du racisme et tiennent une part importante en ce qu’ils cristallisent cette peur de la dissolution dans une sorte de “magma” indifférencié, collant et sale (“Nique ta mère”, “putain de ta race…”)9. Ainsi, ce jeune collégien interrogé par Farid Benbekaï qui déclare n’être jamais entré chez un famille ” française ” et exprime son profond dégoût de ce qu’il imagine : ” ça doit puer… ça doit sentir les cuisses de hallouf (porc). Dégueulasse, le hallouf ça pue… Ils sont sales, ils font entrer le chien chez eux. Il lèche dans leur assiette ; après la mère, elle lave… C’est dégueulasse…10
Enfin, la violence est aussi un moyen pour produire physiquement de l'”autre” et s’en distinguer. Elle consiste à se détacher de l'”autre” en le rendant “informe” par l’atteinte à l’intégrité de son corps, à sa dignité ou tout simplement par la peur. De ce fait, elle donne “forme” par la séparation physique qui extériorise le corps de l’autre. De ce point de vue, la violence et les affrontements sont un moyen de constitution du racisme plus qu’une de ses conséquences. L'”autre” est ainsi construit et reconstruit dans un processus quasi permanent car il revient toujours “coller à la peau” et dissoudre ainsi l’identité individuelle dans une extériorité informe.
Le racisme n’est pas ici une doctrine ou une théorie. Il est une pratique sociale et un mode de construction de soi par l’affirmation d’une “différence” “essentielle” et “absolue”, rejoignant par là la définition du racisme moderne qu’a donné Pierre-André Taguieff, comme “absolutisation de la différence”11, à condition d’ajouter que l’absolutisation est d’autant plus radicale que la différence est faible. Les insultes, les actes de violences et les affrontements qui l’accompagnent ne sont pas une conséquence du choc de cultures ou des modes de vie différents. Ils ne sont pas non plus le produit d’un héritage culturel ni lié à des pratiques spécifiques. Au contraire, il faut les comprendre comme le moyen de la construction des “ethnicités” et de leur différenciation, un moyen de lutter contre l’indifférenciation ou l’assimilation, un moyen d’affirmer une “identité” personnelle en s’arrachant au “marécage” de l'”autre”.2. Pour essayer de comprendre le développement de ces conduites et du racisme qui leur est lié, il faut les replacer dans une analyse plus générale des rapports sociaux qui se développent entre les groupes “intégrés” et ceux qui sont définis comme “exclus”, entre les groupes sociaux “normaux” et ceux des “quartiers sensibles”. Ces rapports entre groupes sociaux s’organisent selon deux lignes de force : la prédominance des modèles de consommation et la monopolisation du langage.
Nous pouvons partir de l’observation paradoxale d’une sorte de sur-intégration des populations des catégories populaires à des modèles de consommation très socialisés. Une des constatations les plus fréquentes faites par les sociologues est celle de la prégnance de la consommation dans cet univers12. Elle se manifeste par le “conformisme” des aspirations où, chez les jeunes, par toute une “culture” des marques et du look. Cette identification à un modèle de consommation très individualisée porté par les classes moyennes produit des effets classiques, que Merton avait bien analysés en ce qui concerne la société américaine, effets d’oscillation entre sur-intégration et rupture ainsi que de choix de conduites déviantes nourries d’un profond conformisme. L’ajustement des “aspirations” à la réalité des opportunités, ou plus exactement leur contrôle, supposeraient l’existence de “filtres” culturels, sur le mode des cultures de classes, ou des capacités d’action collective permettant de projeter socialement ce qui est vécu personnellement13. Or la pénétration des modèles de vie des classes moyennes a fait voler en éclat tous les “filtres” sociaux et culturels pour ne valoriser que des formes très individualisées et privées de consommation. Dépourvu de ” culture de classe ” et de la protection qu’elle offrait, l’individu se retrouve seul pour affronter cette tension entre ses ressources et ses aspirations.
Mais il ne s’agit pas là d’un simple effet pathologique de l’absence de travail et de faiblesse des ressources ne permettant pas d’accéder aux standards de vie “normaux”. La consommation s’est imposée comme le référent culturel exclusif, le mode d’intégration de notre société. Dans les catégories populaires, l’emploi, en lui-même, n’apporte plus la reconnaissance sociale suffisante à l’affirmation individuelle. Il est le plus souvent un emploi sous-payé, de service (notamment pour les femmes) qui par bien des aspects traduit l’envahissement de la sphère privée par les mécanismes marchands. De plus en plus d’activités “domestiques” ou “privées” sont prises en charge par le marché et effectuées par les femmes salariées des catégories populaires. De fait, la consommation ne dépend plus du travail, mais c’est le travail qui semble commandé par les capacités de consommation ou pour le dire autrement, l’intérêt et la stabilité du travail semblent très directement dépendre des capacités de consommation préalable, du statut social de l’individu. Dès lors, la “reconnaissance” et l’intégration sociale individuelles s’obtiennent par l’aptitude à participer aux flux d’échanges de marchandises, de signes et de langages et par la conformité personnelle aux standards dominants.
Ce ne sont donc pas simplement le métier et l’activité qui sont rationalisés mais plus profondément les identités personnelles qui sont redéfinies dans les termes de la consommation et des langages dominants. Le problème ne peut donc se réduire à l’écart entre des ressources et des aspirations qui engendrerait de la frustration. Il est, plus profondément, une tension identitaire “intérieure” jamais vraiment résolue entre les attentes et la situation vécue. Les attentes sont nourries par un fort sentiment de “contingence” personnelle (“ma vie est faite de multiples possibilités que je porte en moi-même”) qui n’est pas limitée par les capacités ou le mérite personnels. Tout le monde peut être consommateur et se sent apte à être conforme et à intensifier sa vie. Les attentes constituent l’identité “intérieure”, le “je”. A l’opposé, la situation vécue est celle de l’enfermement, de la limitation et du gâchis (“on m’empêche de vivre”), et d’un rejet sans appel : il n’y a rien à faire si l’on est jugé non-conforme et surtout “non-conformable”. Pour le dire d’une autre façon, le problème vécu est beaucoup plus celui de la pauvreté de l’expérience que celui de l’expérience de la pauvreté. Surtout, l’ajustement tout comme l’action deviennent impossible : la contingence de la personne nourrit toujours une sorte de multiplication des attentes qui ne peuvent jamais être réduites par l’objet de consommation. Celui-ci, au contraire, lors de son acquisition, accroît l’insatisfaction personnelle et agit comme un pur mirage qui s’évanouirait au moment même où l’on s’en saisit. Pour l’habitant de banlieue, l’appropriation de l’objet n’est jamais qu’un marché de dupe, qui ne peut que provoquer une sorte de fuite en avant ou de surenchère : le signe ne fonctionne que dans l’environnement adéquat. Aussi l’aspiration à sortir du quartier alimente l’enfermement et la quasi impossibilité pratique d’en sortir.
Dans notre société dominée par la référence à la consommation, l’injonction permanente est faite aux individus de se “construire”, de “bâtir un projet” comme le disent les travailleurs sociaux. Chacun est renvoyé à lui-même. Mais à la différence du monde industriel fondé sur le travail, il s’agit moins de se montrer apte à obéir à des normes et à des règles de conduites que d’être personnellement conforme à des standards dominants qui sont autant des modèles de comportements que, plus profondément, d’identité individuelle. La culture de la consommation n’est pas une culture de la répression et de la mobilisation. Elle alimente l’idée que chacun est un “réservoir” de potentialités qu’il doit pouvoir faire vivre sous peine de “perdre sa vie”. Mais pour les habitants des cités, la situation vécue à travers le voisin ou l'”autre” est un démenti permanent et contredit cette injonction. Ce thème revient sans cesse dans toutes les enquêtes : “On m’empêche de vivre”. Il n’y a pas d’échappatoire à cette dialectique. Plongé dans l’indifférenciation ou l’informe de la cité, l’individu est renvoyé à son inaptitude, à son incapacité personnelle qu’elle soit culturelle ou biologique, incapacité qu’il partage avec les “autres” du quartier. Il est identifié aux “autres”. Il est indigne : “on n’est pas des gens nous ici”14. Bien souvent, il finit par avoir honte de lui-même. Il est non seulement “extériorisé” mais aussi, d’une certaine manière, “pathologisé” : il ne peut être défini que par un manque, un déficit, une incapacité à se donner “forme” que lui renvoie sans arrêt son appartenance au quartier.
Tout ce processus conduit à une personnalisation extrême des questions sociales et de l’échec et à une fragmentation complète de la vie collective. Un des paradoxes majeurs de quartiers où la vie sociale est “dense”, est, qu’en même temps, les distances sociales et les problèmes sociaux y sont vécus personnellement et intérieurement. L’injustice et l’échec restent sur l’estomac de chacun et se vivent sur le mode de la honte ou de la dévalorisation individuelle, engendrant apathie et dépendance mais aussi la “rage” et une sorte de “haine de soi” et d’un environnement social auquel on est identifié.
Les individus sont ainsi face à une rupture qu’ils vivent de manière interne, entre un “je” “multiple” et chargé de potentialités et un “soi” assigné, limité, collectivisé, l’un comme l’autre définis de l’extérieur, comme deux miroirs qui se feraient face. Le “je” est d’autant plus “libre” que le “soi” est fixé, le “je” est d’autant plus “riche” que le “soi” est “lamentable”, le “je” est d’autant plus “personnel” que le “soi” est anonyme et collectif, le “je” est d’autant plus intense que le “soi” est faible. L’individu est confronté à une sorte de déficit de subjectivité qui ne peut évidemment jamais s’exprimer ou se traduire en action. C’est pourquoi, l’ennui est l’expérience la mieux partagée dans l’univers des banlieues populaires. Il ne se passe rien et en même temps tout semble se dissoudre dans un temps qui se dilate à l’infini. ” La rouille ” comme disent les jeunes qui passent leurs journées à ” tenir les murs ” est certainement la dimension centrale de la vie dans la cité15. L’ennui erode la confiance en soi, l’individu est non seulement inutile, mais plus profondément, il se sent inutile à lui-même, comme s’il devenait son propre obstacle. Le malaise et le doute personnels deviennent alors permanents et aboutissent souvent à des processus d’autodestruction. L’alcoolisme, la drogue, les tranquillisants en sont les formes les plus banales. Mais on pourrait y ajouter certaines dimensions destructrices des émeutes, les “rodéos”, les risques “excessifs” ou encore, sur un autre plan, l’oubli de soi dans la consommation massive de la télévision… C’est ce qui explique que la banlieue soit aussi un monde du rêve et où l’on cherche l’évasion. Il faut détruire le “soi” pour faire vivre et faire reconnaître le “je”. Il faut s’arracher au “magma” et au “marécage” pour se donner forme.
Par bien des aspects, la banlieue est le monde de la “foule solitaire”, des individus entièrement extro-déterminés qu’avait analysés Riesman. Mais de manière plus juste, elle ressemble au monde du “sous-sol” deDostoïevski
16. Elle est un univers de classes moyennes prolétarisées, vivant une modernité externe qui les aspire et les refoule simultanément et qui, par conséquent, les détruit car elle ne laisse de choix qu’entre la rupture et la soumission. Cette intégration à la consommation exacerbe la sensibilité et l’imaginaire personnels tout en refusant de reconnaître l’individu réel. Elle exaspère le besoin d’expérience tout en refusant l’accès à ces expériences. Le racisme est inscrit dans ces processus d’aspiration et de refoulement : l’individu s’arrache au “magma” et à la “désubjectivation” en affirmant son intégration de manière négative, par la soumission de l'”autre”, qui est aussi une façon d’expulser l'”informe” qui est en soi. De ce point de vue, le racisme n’est pas séparable du développement du sexisme, de l’infériorisation brutale des femmes (considérées ou rêvées comme pur objet de désir et de soumission ou inversement comme des “putains” sales comme dans les paroles ou les clips de nombreux rappeurs) ou de la violence exercée à l’égard des enfants qui sont autant de manière, même pathologiques, pour l’individu d’affirmer sa “forme”, en se faisant “reconnaître” son comme source d'”autorité”, bref en s'”identifiant”.3. Mais si le racisme trouve sa source dans ces mécanismes d’identification sociale, son développement s’explique par des rapports institutionnels et politiques qui aboutissent à la monopolisation du langage, des représentations et du sens par les catégories extérieures supérieures. En effet, tous ces processus sociaux sont redoublés par une fermeture politique qui impose des normes de citoyenneté et une conception exclusive de la vie politique et structure un “classement” des populations. Ils ne peuvent alors donner lieu à aucune construction d’un langage collectif ou à des formes de mobilisation qui pourraient engendrer une action contestataire ou une révolte.
Une des caractéristiques essentielles des quartiers de banlieue en France est la très forte présence institutionnelle et l’emprise des diverses bureaucratie sur la vie des habitants. Même si, parfois, les “services publics” sont absents, l’Etat providence, l’école, la police et les divers services sociaux sont omniprésents dans la vie quotidienne des familles et des individus. De ce point de vue, il est faux de penser l’intervention institutionnelle comme une intervention externe aux problèmes à traiter. Les problèmes se construisent dans la relation à l’intervention. Il n’existe pas de question sociale que l’Etat-Providence viendrait résoudre “après-coup”. Le rapport des populations des quartiers sensibles aux diverses institutions sociales, scolaires et policières ou autres est d’abord marqué par une dépendance quasi absolue, notamment en matière financière, mais aussi en matière d’aspirations sociales ; cette dépendance engendre une très grande soumission aux catégories produites par ces institutions et ces interventions. En même temps, cette dépendance suscite le sentiment d’un piège ou d’une nasse car l’institution ne peut satisfaire l’aspiration à la mobilité. Le piège est à la fois pratique et symbolique : l’intervention institutionnelle ou sociale rappelle à l’individu l’absence d’espoir de mobilité et son indignité dans une société qui valorise l’autonomie et la mobilité N’ayant plus de contre-partie, les normes institutionnelles perdent leur légitimité. Le paradoxe est que la nécessité et le besoin des institutions et des interventions sociales croissent en raison inverse de leur légitimité C’est ce qui explique, dans les quartiers, le développement d’une véritable “culture anti-institutionnelle” et d’une violence qui se porte directement contre les personnes qui incarnent ces institutions, d’autant plus rejetées qu’elles appartiennent rarement à la population concernée : centres sociaux incendiés par exemple, travailleurs sociaux ou enseignants agressés, mais aussi pompiers, médecins, éboueurs, chauffeurs de bus, c’est à dire l’ensemble des intervenants extérieurs.
Du haut en bas de ces bureaucraties publiques, de l’école et des services sociaux circule tout un discours de la “cité idéale” et de la “nécessaire participation des citoyens” qui fait des banlieues une terre de mission laïque pour les catégories sociales liées à cet Etat. De manière récurrente, il est toujours question “d’éduquer” des populations jeunes à la “morale civique” et de “socialiser” des populations différentes. Cette obsession est portée par les autorités publiques mais fournit aussi le discours permanent des enseignants et des travailleurs sociaux : il faut “socialiser”, éviter les “dérives”, rappeler les “normes” qui sont seules “structurantes pour la personnalité”. La pensée sociale est ramenée à un appel conservateur à l’ordre et à la norme qui se traduit par une dialectique et d’éducation et de la répression, de l’incorporation et de l’extériorisation17.
Les quartiers “sensibles” sont ainsi définis institutionnellement et politiquement par la distance qu’ils entretiennent avec la “bonne” société. Ils sont désignés comme le lieu des “incivilités” et de la “passivité” qui contraste avec la “vertu” et le sens civique qui sont attendu du citoyen éduqué. Aussi l’injonction culturelle d’être un individu n’est pas séparable de l’injonction institutionnelle et politique d’être un citoyen. Mais, de la même façon, cette injonction repose sur l’érection d’une norme centrale de l’intégration : l’identification de la “communauté nationale” avec les valeurs “universelles”. Il s’agit d’être un citoyen dans la “tradition” du “modèle national et républicain d’intégration”. L’individu ne peut être reconnu comme citoyen que s’il est “éduqué”.
Si la société intégrée s’identifie à l’universel, par définition, le monde “extérieur” est nécessairement celui de la “particularité” et surtout, du “risque du communautarisme”. C’est pourquoi l’injonction à la citoyenneté s’adresse dans les faits pratiquement toujours aux habitants des quartiers de banlieue. Tout langage alternatif est ainsi invalidé car il est toujours considéré comme particulier et communautaire. Les valeurs de la “République” et ses principes sont intangibles. La vertu des uns a pour contrepartie le vice des autres. Le monopole du sens des uns suppose l’invalidation du langage des autres. Il ne peut exister de critique ou de métalangage : ou l’individu entre et se soumet, ou il reste dehors car il est inapte. Comme le remarque justement Pierre Bourdieu, les individus sont ainsi “rappelés à l’ordre de l’universel dès qu’ils se mobilisent pour revendiquer les droits à l’universalité qui leur sont, en fait, refusés18“. Ils sont sommés d’entrer au moment où la porte se referme. Ils ne peuvent participer que s’ils se soumettent à la “tradition”19. Surtout, ils relèvent d’un problème d’intégration. Pour eux, l’appel à la citoyenneté et à la participation ne peuvent être qu’une “cruelle moquerie” : les lieux de rassemblement politique, tant institutionnels que médiatiques, ne font que “dramatiser l’énormité du gouffre qui les sépare” des catégories intégrées.
Dans ces conditions, il est impossible de séparer conduites individuelles et conduites collectives. En l’absence d’espace et de langages politiques, les dimensions politiques refluent dans l’espace des conduites individuelles. Celles-ci sont saturées de politique. Toute rencontre et toute confrontation sont immédiatement imprégnées par les rapports de pouvoir entre les groupes sociaux. Ce que les habitants ne peuvent traduire socialement et politiquement, ils le vivent de manière “personnelle” et individuelle. Les relations avec les institutions sociales, les travailleurs sociaux et les systèmes d’aides ont alors tendance à se renverser. L’aide et la solidarité sont ressenties de manière humiliante comme une façon d’enfermer dans une sorte de sous-statut, d’être ramené à une situation objective, à un “numéro” impersonnel, et de se voir imposer une norme qui n’est que le masque des intérêts de ceux qui ont su s’installer du bon côté Autrement dit, la solidarité, qui n’est pas appuyée sur une des capacités critiques et conflictuelles, est le plus souvent vécue comme un pur système d’ordre et de normalisation. C’est ce qui explique le ressentiment, mais aussi, de plus en plus souvent, la violence, des rapports entre services sociaux et habitants de banlieues, notamment les jeunes. Dans la société française d’après Guerre, les institutions étaient censées relier l’individu au monde en lui donnant des compétences ou des chances et, surtout, l’ouverture sur l’extérieur. Ici, elles sont vécues comme ce qui intègre en marginalisant, ce qui ferme le monde, trace une limite et fondamentalement détruit. Elles sont devenues une frontière entre la “société normale” et le monde “extérieur” voué à l’informe.
Le développement du racisme est le corollaire de cette croissance de la violence contre les institutions. Il est le prolongement “naturel” de cette idéologie classificatoire tout comme les formes de replis “intégristes” en sont la conséquence. Il est l’interprétation par les catégories populaires de cette construction exclusive de la réalité sociale en termes d’ordre et d’intégration. Si les individus sont définis par leur distance à la norme de “l’intégration à la française”, la séparation entre ce qui est “français” et ce qui ne l’est pas devient un enjeu essentiel pour qui veut se faire “reconnaître” et pour donner une explication et une signification politique à la situation vécue. Il s’agit de faire passer la “frontière” du bon “côté” et de s’y situer. Dès lors, les institutions seront accusées de favoriser les “immigrés” au détriment des “français” et les “immigrés” seront accusés de “pourrir le quartier”. Ce sont eux les porteurs des “incivilités” et de “différences non intégrables”. Ce sont eux qui empêchent de se situer dans la communauté nationale et d’y être reconnu pleinement. L'”autre” devient un “étranger”, quelqu’un de “différent” et dont la “particularité” est une menace pour le statut politique et l’accès aux institutions. Le racisme acquiert ici sa dimension d’interprétation politique de la nécessité de s’arracher à l’informe et d’expulser l'”autre”. Pour les catégories populaires, il prolonge l’idéologie politique de l’ordre qui fait de la “différence” et de l'”autre” un problème pour l’intégration et la source des difficultés sociales. Le racisme permet ainsi d’unifier l’expérience vécue à des significations politiques générales.
Il faut interpréter cette double logique comme le produit d’un rapport de classes et non comme une forme de “pathologie” de l’ordre social. Autrement dit, nous avons affaire à un type particulier de rapport social qui produit de l’atomisation, “désubjectivise”, détruit l’acteur en imposant une norme et invalide les actions collectives des populations des quartiers populaires. Nous pouvons comparer ce rapport de domination à celui de la colonisation d’un double point de vue : d’une part, l’idéologie et les normes sont vécues comme des normes externes, imposées par des individus et des groupes qui viennent pratiquement de l’extérieur des quartiers comme les travailleurs sociaux, les enseignants ou les policiers ; d’autre part, en suivant les analyses de Fanon, les habitants des quartiers populaires sont définis par le regard de l’autre, du dominant, c’est à dire celui des classes moyennes, des médias, bref du monde qui s’affirme intégré et ils finissent aussi par intérioriser ce regard20.
Les quartiers de banlieue sont absorbés dans une modernité identifiée à la consommation et à l’individualisme, mais modernité qui reste externe et qui est portée par des agents extérieurs. Pour les habitants, elle n’est pas séparable des processus de répression et de destruction des identités. Ils sont soumis aux catégories, au temps, aux perceptions et à l’ordre symbolique des groupes sociaux supérieurs. Ils vivent ainsi une tension entre l’intérieur et l’extérieur d’eux-mêmes, intérieur et extérieur qu’ils ne peuvent réconcilier dans la mesure où le rapport entre ces deux termes est défini par les discours, les images et les attitudes des dominants et qu’ils ne peuvent pas le maîtriser. L’injonction permanente à la “citoyenneté”, à la “morale” et à l'”intégration” portée par les catégories supérieures, les institutions et les médias, accroît la désubjectivation : ce sont les groupes sociaux “externes” qui en définissent les caractéristiques, qui imposent leur langage et qui décident des critères de l’intégration et des capacités des uns et des autres à manifester son intégration. Il s’agit alors de se faire “consacrer” en marquant sa proximité ou son identité avec les catégories supérieures. Ne pouvant construire une subjectivité pleine et entière, dans un effort permanent pour se faire reconnaître comme une personne particulière et un citoyen, l’habitant de la banlieue est conduit à s’identifier négativement en manifestant son hostilité ou sa haine envers son entourage, et finalement envers lui-même, en s’en démarquant en permanence, en produisant de l'”autre” à partir de lui. Le paradoxe de ce processus est qu’il se rend par là-même inapte à l’obtention d’une telle reconnaissance. De cette façon, la nature même de l’appel à l’intégration républicaine renforce l’infériorité et l’indignité de ceux qui y sont soumis et la “haine” de l'”autre” qu’ils ont en eux-mêmes et qui adhère à leur propre image21.
Alors que dans le monde industriel, le racisme était produit par la conjonction de la concurrence entre les groupes et de la différence culturelle, dans notre société, il est produit par les processus même de construction identitaire. Le racisme se fonde sur la “haine” de l'”autre” qui est en soi, qui est soi, et qui fait “honte” parce qu’il identifie négativement et entrave l’affirmation de la subjectivité personnelle et la recherche de reconnaissance politique. Le racisme est ainsi la production incessante de l'”autre” à partir de soi, à partir du même. Le racisme est un processus d’identification négative de soi quand la subjectivation est interdite par les processus de privation d’expérience et de construction de sens pour des groupes privés de langage. Dans notre société, le racisme n’a rien de marginal. Il est devenu une catégorie fondamentale de l’organisation de la vie politique et sociale.

Georges Bataille

C'est un des grands apports des travaux dePierre-André Taguieff,La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles. Paris, La Découverte, 1988.

En ce qui concerne le monde du travail voirPhilippe Bataille,Le racisme au travail, Paris, La Découverte, 1997. Pour un approche plus générale de la question :Michel Wieviorka,La France raciste, Paris, Le Seuil, 1992.

Gilles Lajoie, "La ségrégation des populations urbaines de 1982 à 1990 ", In :Denise PumainetMarie-Flore Mattei,Données urbaines, Paris, Anthropos

Ce processus s'opère souvent en dehors de toute manifestation directe de racisme ou de rejet. On peut penser par exemple à l'évolution des quartiers " à la mode " à Paris, comme La Bastille ou la rue Oberkampf. Dans un premier temps, ils sont investis par des populations " d'innovateurs culturels ". Puis arrivent les classes moyennes qui génèrent le développement de commerces, de bars et de boîtes de nuit. Puis arrivent les " gens de banlieue ", c'est à dire appartenant aux classes populaires. Dès lors, les " innovateurs " s'en vont dans un autre quartier, mais surtout, le quartier est alors symboliquement stigmatisé comme étant dépassé ou " ringard ".

Propos d'une jeune fille d'origine algérienne née en France vivant en Banlieue parisienne. Cité parFarid Benbekaï, " De l'autre côté du miroir. Entretiens avec quelques jeunes de nos grands ensembles ",Recherches, la revue du MAUSS, n°14, second semestre 1999.

Propos de jeunes collégiens de la banlieue parisienne. Cités parFarid Benbekaï, op. cit.

C'est par exemple le cas deRobert Castelqui fait de la " désaffiliation " une version contemporaine de l'anomie selonDurkheim, ou encore dePierre Bourdieuqui interprète la misère de position en des termes empruntés à l'analyse de l'anomie chez Merton. Voir :Robert Castel,Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995.Pierrre Bourdieu(dir.),La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1992.

Mary Douglas,De la souillure. Essais sur les notions de pollution et de tabous, Paris, Maspéro, 1971.

Farid Benbekaï, op. cit.

Pierre-André Taguieff,Le racisme, Flammarion, 1997.

Agnès Villechaise, "La banlieue sans qualités. Absence d'identité collective dans les grands ensembles",Revue Française de Sociologie, XXXVIII, 1997.Cyprien Avenel, "La notion d'underclass à l'épreuve des faits"Sociologie du Travail, n°2, 1997.

Ely Chinoy,Automobile Workers and the American Dream, New York, Doubleday, 1955.

Cité parAgnès Villechaise, op. cit.

Le film deMatthieu Kassowitz,La Haine, a bien souligné cette dimension de la vie des cités de banlieue.

David Riesman,la foule solitaire, Paris, Arthaud, 1964 (1952).Fédor Dostoïevski,Les carnets du sous-sol, Paris, Actes-Sud, 1992 (1864). Voir l'analyse qu'en donneMarshall Berman,All That Is Solid Melts Into Air, New York, Simon and Schuster, 1982.

On pourra se reporter à l'entretien deJ.P. Chevènement,Libération, 27 octobre 1997 ainsi qu'aux différentes déclarations du Ministre de l'Education sur la nécessité de "rétablir" l'instruction civique et les valeurs républicaines.

Pierre Bourdieu,Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 1997, p.98.

Pour un exemple de cette rhétorique idéologique ministérielle, dispensatrice de "sens" politique dans laquelle l'arrogance le dispute à l'ignorance des réalités sociales :André-Clément Decouflé, "L'intégration : quelques idées simples".Revue Française des Affaires Sociales, Avril 1997.

Frantz Fanon,Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil, 1952. Depuis son origine, la République a toujours été autant intégratrice que colonisatrice.

William H.GrierandPrice M.Cobbs,Black Rage, New York, Basic Books, 1968.

Published 28 June 2001
Original in French

Contributed by Mittelweg 36 © Mittelweg 36

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