L'illusion du califat et la guerre à l'intérieur de l'Islam

Une opinion pakistanaise

Une opinion pakistanaise

Le monde de l’Islam est en flammes. Le Pakistan, l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, le Yémen, la Libye, l’Égypte et d’autres pays sont en plein tourment. D’abord salué come une nouvelle ère, le Printemps arabe est retombé dans la noirceur. Le conflit sectaire entre les sunnites et les chiites alimenté par les ambitions politiques de l’Iran et de l’Arabie saoudite, sacrifie quotidiennement plus de vies humaines que n’importe quel autre conflit sur terre.

En dehors de la Syrie et de l’Irak, le Pakistan est le pays le plus mortel pour les musulmans chiites. Les Hazaras fuient le Baloutchistan, et des barricades encerclent les ghettos urbains chiites. Au cours des premières semaines de l’année (2015), quatre mosquées chiites sur- peuplées (imambargahs) ont été la cible d’attentats suicides. Le gouvernement a bien délivré des permis de port d’arme aux vigiles (defenders) des imambargahs, mais même les mesures de haute sécurité sont insuffisantes : un kamikaze au volant d’une voiture bourrée d’explosifs a réussi à pénétrer dans le quartier de Abbas Town à Karachi, détruisant des dizaines d’appartements dont les balcons laissaient pendre de macabres restes humains.

Il n’est pas étonnant que les chiites du Pakistan se considèrent come victimes de persécution religieuse. Certains parlent même de génocide. C’est sûrement exagéré, car les pertes atteignent quelques milliers de personnes. Il y a quelque chose d’ironique dans ce drame : Mohammed Ali Jinnah, sans qui le Pakistan n’existerait pas était un musulman chiite Gujrati. Il a mobilisé des millions de personnes déclarant impossible une coexistence entre indous et musulmans qui eux pouvaient vivre ensemble quelle que soit leur secte. Il avait en partie raison. À ses débuts, le Pakistan vivait en paix, à l’exception de quelques poussées de fièvre occasionnelles au moment de l’Achoura. Les mariages inter-sectes étaient fréquents et les chiites se sont joints avec enthousiasme aux sunnites pour soutenir la décision du premier Zulfiqar Ali Bhutto de 1974 déclarant les Ahmadis non-musulmans.

Mais, par un curieux retournement de l’histoire, un sondage Pew effectué en 2012, indiquait que 41 % des sunnites du Pakistan considéraient les chiites comme étant eux-mêmes non-musulmans. Une explication commune de ce phénomène fait porter le blâme à la politique islamiste du général du Zia-ul-Haq qui faisait une distinction entre les différentes sectes, ce qui de fait a provoqué la discorde. Toutefois, on peut penser que l’actuel conflit fratricide généralisé à travers le Moyen-Orient aurait de toute façon enflammé les tensions religieuses.

L’inévitabilité du conflit provient d’une certaine et nouvelle attitude qui repose à la base sur l’insistance, relativement récente et partagée également par les chiites et les sunnites, mise sur la nécessité d’une fusion entre la religion et le pouvoir politique. Des fractions importantes des deux communautés demandent aujourd’hui que le pouvoir aille au-delà de la simple considération de la relation individuelle avec Dieu. Toutes deux déclarent qu’une vraie justice n’est possible qu’avec le remplacement de la loi civique par la loi religieuse et l’entrée en vigueur des pratiques religieuses dans la société. Les deux courants voient dans l’Occident laque, leur ennemi mortel. Mais là s’arrête leur entente. Leurs visions sont irréconciliables sur l’histoire des premiers temps de l’Islam, et sur les choix de modèles. Ils ne s’accordent pleinement que sur le Coran.

Les premiers temps d’accommodement sont choses du passé. La révolution iranienne de 1979, l’entêtement à promouvoir le djihadisme en Afghanistan par les États-Unis, et leur invasion de l’Irak en 2003, ont créé une nouvelle réalité politique et un monde incertain. Bien que l’Occident paye dans une certaine mesure ses politiques antérieures de conquête et de manipulation, la reprise des anciennes rivalités est maintenant en train de déchirer le tissu de nombreuses sociétés musulmanes dans le monde. La dernière des entrées en scène est celle de la Dawlat al Islamia fil Iraq wa Shaam, ou DAECH avec comme chef Abu Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé, et beaucoup de souffrances en perspective.

La résurgence du califat

Le califat global est une notion centrale dans la philosophie du sunnisme. Il avait été aboli le 3 mars 1924 par Kemal Atatürk qui mettait fin, au grand dam de nombreux musulmans dans le monde, à une structure de gouvernance islamique qui combinait autorité religieuse et politique et qui avait duré pendant treize siècles. Un intellectuel de l’époque avait décrit tristement les conséquences de cette abolition comme “le morcellement des terres musulmanes en misérables petits lambeaux appelés des nations”.

Bien que le califat n’ait pas de fondement coranique, les musulmans l’ont en général historiquement associé à une communauté politique et religieuse, sans frontière nationale dirigée, selon les principes de la charia, par un calife mâle auquel la oumma entière devait prêter allégeance en tant qu’autorité suprême politique et religieuse. Abul Hasan al-Mawardi (974-1058), l’un des premiers théoriciens politiques de l’Islam, décrivait le calife comme le régent de Dieu sur terre “qui avait été désigné par [Allah] comme le remplaçant du Prophète”.

Par un retour des choses inattendu au début du XXIe siècle, l’idée du califat a refait surface auprès de millions de musulmans dans le monde. Selon un sondage Gallup effectué en 2006 en Égypte, au Maroc, en Indonésie et au Pakistan, les deux-tiers des répondants ont déclaré soutenir l’objectif “d’unification de tous les pays musulmans” au sein d’un nouveau califat.1 Ce retour du califat rappelle cruellement l’observation de Marx selon laquelle l’histoire se répète d’abord comme une tragédie, ensuite comme une farce.

Pourquoi le califat maintenant ?

L’une des raisons est immédiatement évidente. Les musulmans sont énormément nostalgiques des gloires et des réalisations passées, la plupart, associées à l’un ou l’autre des califes. Celles-ci ayant été plutôt rares au cours des derniers siècles, l’attrait du passé est fortement magnifié. Le califat, dont on gomme les aspects rebutants au cours des siècles, est chéri comme mémoire et idéal. Les lecteurs des romans en Urdu de Nasim Hijazi comprendront la puissance des sentiments que fait naître la seule évocation du mot califat.

Aujourd’hui, les mouvements mondiaux en faveur du califat, tirent leur force du fait que la plupart des musulmans à travers la planète se considèrent d’abord comme musulmans et ensuite comme citoyens de leur pays respectif. Un sondage de Pew Global Attitudes a montré que même en Turquie – un pays musulman officiellement laque – 43 % des citoyens se considèrent d’abord comme musulmans contre seulement 29 % comme Turcs en premier lieu. Une majorité de musulmans dans six pays veulent que l’Islam fasse partie de la vie politique.2

Au Pakistan c’est encore plus vrai. À partir d’un sondage du British Council mené en 2009, le Telegraph tire les conclusions suivantes :

Le rapport montre que les trois-quarts des répondants s’identifient avant tout comme musulmans et que seuls 14 % se décrivent d’abord comme citoyens du Pakistan. Seulement 10 % ont une grande confiance dans leurs gouvernements nationaux ou locaux, la justice ou la police, et seul un tiers d’entre eux prônent la démocratie pour leur pays.3

Un autre sondage mené par Express Tribune corrobore ces résultats avec une majorité d’internautes pakistanais se voyant d’abord comme musulmans (49 %), “Pakistanais” (28 %) ensuite, tandis que 23 % s’identifiaient comme “Autres”.4

Quand on réfléchit sur l’opinion politique musulmane au sujet du califat, on est frappé par un certain nombre de faits déroutants.

– La plupart des musulmans pensent qu’un califat moderne unifiant tous les musulmans serait une bonne chose, qu’il incarnerait la justice et l’équité et qu’il serait sanctifié par le Coran et la Sunna. Toutefois, ils estiment qu’il a peu de chance de se réaliser.

– La plupart des musulmans sont prêts à croire au mythe d’une oumma unifiée, même si les 1,6 milliard de musulmans du monde vivent aujourd’hui dans 46 États-nations, dont les frontières sont définies et infranchissables sans passeport et visa. Pour le travailleur non qualifié ordinaire du Pakistan et du Bangladesh, l’obtention d’un visa pour l’Arabie saoudite ou un État du Golfe est un processus extrêmement ardu et pénible au cours duquel il risque de perdre les économies de toute une vie. Il est possible que ce travailleur soit exploité et victime d’abus de la part de son employeur arabe, mais il le serait encore plus s’il n’était pas musulman. Pourtant, si on lui pose la question, il répondra probablement qu’il soutient l’idée d’une oumma unifiée et d’un État supranational.

– La plupart des musulmans se sentent émotionnellement liés les uns aux autres. Et cela, malgré les cruelles guerres fratricides qui font rage dans de nombreux pays musulmans. Dans ceux où il y a un certain soutien au califat, tels que le Pakistan, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, et dans d’autres pays où se manifeste une montée de religiosité, le musulman ordinaire vit dans la peur au quotidien. La violence sectaire se généralise et le simple fait de se réunir pour prier peut nécessiter la présence de gardes armés qui procèdent à des fouilles au corps et des barbelés qui ceinturent les lieux de culte.

– La plupart des musulmans sont profondément fâchés quand des Occidentaux ou des non-musulmans critiquent la politique d’un Islam mondial ou l’objectif d’un califat moderne.

– La plupart des musulmans n’ont qu’une vague idée de ce que serait un califat en pratique. Dans le monde d’aujourd’hui, on compte sur l’État pour assurer la fourniture d’une vaste gamme de biens et services publics – éducation, santé, etc. Mais on se préoccupe peu de ce qu’impliquerait aujourd’hui le gouvernement de 1,6 milliard de musulmans du monde dans un califat.

– La plupart des musulmans sunnites ne soutiennent pas les Talibans, DAECH, Boko Haram, Al-Shabab, Hamas, et les autres organisations extrémistes. Les chiites, sont la cible de ces organisations qui veulent les exterminer. Et pourtant, aucun signe n’indique que les sunnites aient envie de mettre ces extrémistes au ban de leur société ni de les traiter de non-musulmans comme ils l’ont fait avec d’autres groupes “déviants” tels que les Ahmadis.

L’esprit du musulman est aujourd’hui en pleine confusion. Il est confronté à d’innombrables contradictions issues de la modernité, il est incertain du présent, et effrayé par l’avenir. Quelle meilleure voie donc, que celle de suivre les commandements d’Allah ? Mais hélas, il semble qu’en matière de conduite des affaires de l’État, Il n’ait pas laissé d’instructions.

Quelle est l’importance du soutien théologique à l’état islamique ?

Les partisans de l’instauration d’une utopie islamique sont des gens passionnés, mais au sujet de sa nature, différentes écoles de pensée s’affrontent avec véhémence – et même avec violence. Si le Coran avait défini, même en grandes lignes, l’État, ces controverses se seraient apaisées. Mais le Livre saint est totalement silencieux au sujet de l’État et de la politique. En fait, il n’existe pas de mot spécifique en arabe pour État. Le terme le plus proche est dawla, mais ce mot n’a acquis sa signification spécifique qu’à la suite du Traité de Westphalie qui a élaboré en 1648 le concept européen et géographiquement défini, d’État-nation.

Cependant, selon certains, le système islamique de gouvernance est un fait historique conçu et mis en vigueur par le Prophète Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui) qui après son exil à Médine négocia un accord avec différentes tribus juives et paennes qui fut appelé Mithaq-el-Medina. En vérité, le Mithaq a été un document qui répondait à des besoins immédiats. Par voie de consultations, le Prophète avait réparti différents droits et responsabilités entre musulmans, juifs, chrétiens et paens, avec pour conséquence heureuse, la fin des combats acharnés entre les tribus des Aws et des Khazrajs de Médine.

Bien que brillamment élaboré par le fondateur de l’Islam, il est loin du genre de dispositif nécessaire à la gestion d’une économie moderne et d’être utilisé comme appareil de gouvernance. Pourtant des allégations extravagantes ont persisté à travers l’histoire. Très récemment Tahir-ul-Qadri, un clerc et politicien Canado-Pakistanais qui tente actuellement par la subversion de renverser le gouvernement élu du Pakistan, a écrit une thèse de doctorat sur le Mithaq dans laquelle il allègue que les 63 articles qu’il contient forment la première constitution écrite de l’histoire de l’humanité. D’autres s’y réfèrent en tant que charte.

Quelle que soit la description correcte, Médine a constitué, au mieux un proto-État et le Mithaq n’a porté que sur des sujets immédiatement importants à l’établissement de la Loi sacrée du Prophète. Bien que le document original ait été perdu, on peut en retrouver quelques extraits dans les travaux des premiers savants tels Sirat-Rassoul-Allah d’Ibn Ishaq. L’examen des 63 clauses énumérées dans la thèse de Qadri ne permettent en aucune façon d’interpréter le Mithaq comme une constitution. Il traite plutôt des questions suivantes : règlements des différents conflits sanglants entre les tribus ; paiement de rançons ; interdiction de tuer des croyants à l’instigation de non-croyants ; garantie sur la protection de la vie des musulmans et des juifs ; règles sanctionnant les meurtres de vengeance ; règles de répartition des dépenses de guerre entre musulmans et juifs ; proclamation de l’égalité entre tribus juives ; prohibition de la trahison ; et refus de donner refuge aux femmes (sauf accord contraire entre les familles).

Le Mithaq-el-Medina n’a pas essayé d’anticiper sur l’avenir. En fait il a traité strictement des questions qui étaient importantes pour un petit groupe de tribus. La population estimée de la Mecque et de Médine combinées était, au temps du Prophète, inférieure à celle d’un quartier typique du Caire ou de Karachi. Le Mithaq ne contenait rien qui ait trait à un système de taxation de police ou d’armée, ni ne faisait mention d’administration ou de prisons. Il ne proposait aucun concept de gouvernance ou de défense territoriale. Chaque tribu était censée suivre ses coutumes et traditions. En ces temps-là, on pensait que les guerres inter-tribales se poursuivraient toujours et que chaque contribule adulte devait y prendre part et défendre les intérêts tribaux. La seule loi qui prévalait était celle des qisas, ou représailles.

Fait décisif, cette “première constitution” ne dit rien sur la façon dont le chef de l’État était choisi et sur les causes légitimes de son éventuelle destitution. Elle ne spécifie pas non plus les limites de son pouvoir ou de celui de la choura (organisme consultatif). La manière dont la choura, aurait pu peut-être décider du choix du calife n’est pas non plus mentionnée. Y aurait-il un exécutif, un pouvoir judiciaire ou des ministres du gouvernement et quelles seraient leurs fonctions ? Il est donc difficile d’accepter le Mithaq comme un document qui concerne la gestion d’un État, en particulier à l’époque moderne.

L’absence de directives a signifié que la mort du Saint Prophète de Dieu – qui n’avait pas désigné de successeur ou même de procédure pour en désigner un – a créé un schisme durable sur la question de la désignation ultérieure du chef des fidèles. Les trois premiers califes ont été les compagnons du Prophète : Abou Bakr (632-34), Omar (634-56), Othman (644-56), et enfin, Hadhrat Ali, son gendre. Le choix des deuxième et troisième califes s’est fait par leur prédécesseur agonisant, conformément à la loi tribale. Un seul – Abou Bakr – est mort de mort naturelle. Trois des quatre califes bien guidés ont été assassinés et l’un d’eux (Othman) fut brutalement lynché par une foule, alors qu’il était en train de lire le Coran. Cela laisse entendre qu’il y avait absence de consensus interne même parmi les proches du Saint Prophète, ainsi qu’une instabilité politique.

Le vide procédural a conduit à une lutte de pouvoir acharnée – et au délitement de l’establishment politique de l’époque. La tragédie de Karbala, suite à la succession par Yazid, a créé une division permanente entre l’Islam sunnite et chiite, qui est responsable de la plupart du sang versé dans les guerres d’aujourd’hui. Yazid a été élu suivant une tradition dynastique tribale, plutôt que par consensus. Pour les sunnites, Yazid n’a été qu’un autre des califes alors que pour les chiites, il est le diable.

Maududi et Qutb – Architectes du califat

Quelque 900 ans après al-Mawardi, les fondements conceptuels de l’Islam politique ont été revisités et élargis par Syed Abul Ala Maududi (1903-1979), fondateur de la Jamaat-e-Islami, qui quitta l’Inde pour le Pakistan après la partition de 1947. D’accord avec al-Mawardi sur la nécessité d’unir l’État et la religion, Maududi créa cependant une autre version dans laquelle il se faisait le champion de la cause d’un État islamique, à la tête duquel il devrait y avoir un homme, pieux musulman, qui islamiserait la nation et ferait de ses sujets de meilleurs musulmans. La souveraineté proviendrait d’Allah, et non du peuple, selon Maududi.5 Ainsi, la démocratie – comprise comme un système de dirigeants élus par le peuple qui pourraient créer ou modifier les lois et la constitution d’un État en accord avec la volonté populaire – n’est pas un système de gouvernement légitime. Maududi énumère les qualités que le chef des musulmans doit avoir, mais ne dit rien du mécanisme qui permettrait de le choisir.

Pour Maududi, la lacité est ennemie de l’État islamique. Tout comme l’était, Mohammed Ali Jinnah, fondateur du Pakistan qu’il considérait être, avec d’autres, des créatures de la culture occidentale. Pendant les années 1940, Maududi parlait dans ses discours de Jinnah comme du “Kafir-e-Azam” (le grand mécréant) et traitait le Pakistan de “Na-Pakistan” (terre de la saleté). À cette époque, il soutenait qu’il était vain pour un musulman de rêver de pouvoir politique, s’il ne menait pas une vie islamique “juste” (qui n’était pas celle de Jinnah malgré toute sa rhétorique islamique).

Après la partition du sous-continent indien, sa vision des choses changea radicalement. Menacé d’isolement et de ne plus avoir de raison d’être, Maududi décida de se joindre à ceux qui faisaient le choix du Pakistan tout en soutenant mordicus que les musulmans du monde entier constituaient une seule nation.6 Sa position était maintenant que les musulmans devaient prendre le pouvoir s’ils voulaient vivre dans la piété. Son insistance à demander l’instauration d’un État islamique unique et global pour l’Islam a eu des résonnances au au Moyen-Orient et ses oeuvres ont été traduites en arabe.

Syed Qutb (1906-1966) a été le pendant égyptien de Maududi. Alors étudiant au Colorado State Collège for Education, il avait conclu que les principaux aspects du mode de vie des Américains étaient primitifs et “choquants” et que ceux-ci “avaient leur foi dans la religion, dans l’art, et dans les valeurs spirituelles, complètement anesthésiée”. Qutb dénonçait dans ses écrits les laques comme étant ennemis de l’Islam et a été une source d’inspiration, entre autres, pour les Frères musulmans et Al-Qada.7 Impliqué dans un complot destiné à assassiner Nasser en 1954 il fut pendu deux ans plus tard, à l’âge de 59 ans.

Comme Maududi, Qutb ne tenait aucun compte de la démocratie, maintenant que seul le pur Islam du Prophète pouvait sauver l’humanité. Pour lui, les non-musulmans pouvaient être tolérés dans un État islamique à la condition qu’ils paient la taxe jizya, et le djihad devait être mené pour sauver le monde de la jahiliyah qui, par définition, n’acceptait pas l’Islam et la Parole de Dieu. Il associait la jahiliyah à la civilisation occidentale et aux musulmans laques.8

Qui devrait être calife ?

Pendant les 1400 ans qu’a duré le califat, les souverains des empires musulmans du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-ouest ont porté le titre de calife. Mais les règles de légitimité n’étant pas spécifiées dans le Coran, les musulmans n’acceptaient pas tous l’autorité du calife au pouvoir. En fait, des califes rivaux ont parfois coexisté. Au début du XIe siècle, il y avait trois centres de pouvoir – Baghdad, Cordoue et Le Caire qui possédaient chacun son propre calife, lequel était à couteaux tirés avec les deux autres prétendants.

Qu’en est-il aujourd’hui ? En 2006, différents groupes activistes en Irak s’unirent pour créer l’État islamique en Irak (EII), un émirat fondé sur le modèle de celui des Talibans afghans. Abu Umar al-Baghdadi en fut nommé le chef. Tout comme le Mollah Omar, d’Afghanistan, il décida de s’attribuer le titre d’émir-al-Mominine. Plus tard, Abu Umar fut remplacé par Abu Bakr al-Baghdadi. Après sa fusion avec Jabhat-en-Nusrah, le groupe fut renommé Dawlat al Islami fil Iraq wa Shaam, ou DAECH. Al-Baghdadi s’autoproclama calife en 2014.

Aux critiques d’action unilatérale formulées par des religieux musulmans et par le chef d’Al Qaeda, Ayman al-Zawahiri, DAECH répliqua qu’il avait rencontré plus de succès militaires et qu’il contrôlait plus de territoires que n’importe quel autre groupe islamique. Par conséquent, et en vertu de ses victoires guerrières, al-Baghdadi déclara avoir rempli tous les critères pour être calife.

Comment a réagi l’actuel Émir-el-Mominine, le Mollah Omar, à cette prétention ? Selon un rapport récent,9 certains de ses partisans ont remis en cause la légitimité de Abu Bakr al-Baghdadi à s’autoproclamer émir alors qu’une autre personne détenait le titre. Ils se référaient à un dit du Prophète sur la nécessité de tuer la seconde personne qui s’autoproclamerait chef des musulmans en la présence d’un autre Imam.

La situation, toutefois, n’est pas claire, parce que d’autres voix acceptent al-Baghdadi comme calife. Le mufti Tahir Jami qui enseigne à la Madressah Ali Murtaza à Karachi déclare qu’il peut y avoir un émir à différent niveaux. “Cependant, ce qui n’est pas permis, c’est d’avoir plus d’un calife en même temps. Si cela arrive, on doit se débarrasser de la seconde personne qui s’est autoproclamée. Ce problème ne se pose pas pour le moment. Al-Baghdadi s’est déclaré calife alors que le Mollah Omar est resté confiné à un émirat”.10

Contradictions d’un califat moderne

Quel que soit le calife, il reste la question de la règle de droit qui prévaut. Comment seront impactées les populations musulmanes réparties entre différentes sectes ? Et compte tenu du fait que les États musulmans modernes comprennent des populations non-musulmanes importantes, à quoi peut-on s’attendre ?

Pour la majorité sunnite, le choix se porterait parmi n’importe laquelle des quatre écoles de jurisprudence de la charia – Hanafite, Chafiite, Malékite et Hanbalite. Même si une des factions réussissait à imposer une forme de charia, les autres pourraient l’accuser d’hérésie ou d’apostasie. Les assassinats au Pakistan des Deobandis par les Barelvis, et réciproquement, laissent penser qu’il ne s’agit pas là d’une simple hypothèse. Les chiites, bien sûr ne reconnaissent aucune forme de charia et seraient des parias dans n’importe quelle alternative. Lorsque la population est hétérogène, un État islamique ne pourrait conséquemment être imposé que par la force ou par règle majoritaire.

Le califat contraindrait les non-musulmans à la marginalisation, au silence et à l’émigration avec comme autre choix l’élimination physique. Ce qui équivaut à une fuite du capital humain. Comme peuvent le démontrer de nombreux exemples, la diversification de la population permet une plus grande contribution économique. Mais le pluralisme religieux est impossible dans l’État islamique de Maududi et de Qutb – même en théorie – en raison des trois concepts islamiques courants : jizya, dhimmi, et but-shikinee (destruction des idoles).

Jizya signifie littéralement pénalité. C’est une taxe de protection imposée aux non-musulmans (dhimmis) vivant sous des régimes islamiques affirmant que leur statut légal n’est pas celui d’un citoyen de plein droit. Maududi précise que leur “acceptation de la Jizya établit le caractère sacré de la vie et de la propriété en conséquence de quoi, ni l’État islamique ni la société musulmane n’auront par la suite le droit de violer leur propriété, leur honneur ou leur liberté”. Il tire son inspiration des versets coraniques tels que :

Sourate 9.05 : “Après que les mois sacrés expirent”, [au cours desquels une trêve est conclue entre les musulmans et leurs ennemis. Note de l’auteur], “tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la Salat et acquittent la Zakat, alors laissez-leur la voie libre, car Allah est Pardonneur et Miséricordieux”.

Sourate 9.29 : “Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés”.

(Traduction : www.coran-en-ligne.com/)

La Jizya est un symbole d’humiliation et de soumission parce que les dhimmis ne devraient pas être considérés comme des citoyens à part entière même s’ils sont natifs du pays. Les dhimmis ne sont pas autorisés à construire de nouveaux lieux de culte (églises, temples, ou synagogues). Il leur est permis de les rénover à la condition qu’ils n’y ajoutent aucune nouvelle construction. Les “vieilles églises” sont celles qui existaient avant la conquête islamique et qui faisaient partie des accords de paix conclus avec les musulmans. La construction d’églises, temples, ou synagogues est interdite dans la péninsule arabique (Arabie saoudite). C’est la terre du Prophète et seul l’Islam doit y régner. Cependant les musulmans peuvent détruire tous les lieux de culte non-musulmans de toute terre qu’ils conquièrent.

En tant que religion monothéiste, l’Islam ne tolère pas l’adoration des idoles et il est fait obligation aux musulmans de les détruire. Les idoles peuvent comprendre des statues (celle du Veau d’or en particulier), des représentations de personnes (y compris Jésus), de dieux autres qu’Allah, aussi bien que de djinns et de Satan. Le Coran dit : “Combattez-les jusqu’à ce que cesse l’idolâtrie et que la Religion de Dieu règne suprême.” (Sourate 8:36)

(Traduction littérale. Le texte n’a pas été trouvé dans la sourate indiquée.)

Il n’est donc pas étonnant que la destruction en 1024 des idoles du temple Somnath dans le Gujrat ait fait de Mahmud Ghaznavi le héros de nombreux musulmans dans le sous-continent indien. Des écrivains musulmans populaires du XXe siècle en ont fait l’apologie, mais les indous ressentent amèrement la destruction de leurs temples lors des nombreux raids effectués par des musulmans venus d’Arabie. La destruction du temple Somnath a été le prétexte saisi par les intégristes indous pour justifier celle de la mosquée Babri en 1992. Des milliers de musulmans furent tués dans les émeutes qui s’ensuivirent. La destruction des idoles se poursuit de nos jours : le régime taliban de l’Afghanistan réduisit en poudre les Bouddhas de Bamyan vieux de vingt siècles sans entraîner de condamnation audible de la part du monde musulman.

L’Islam autorise également le versement du prix du sang comme règlement juridique des crimes. De telles lois diffèrent grandement de celles d’une société laque moderne (ou en voie de modernisation). Les représailles du type Qisas et le prix du sang Diyat sont des exemples qui montrent comment les riches peuvent racheter leurs crimes par l’argent. De nos jours, il y a des cas qui illustrent comment cela peut servir à violer les principes de justice naturelle :

Raymond Davis, un agent de la CIA au tempérament violent en poste au Pakistan s’est livré à un délire meurtrier ouvrant le feu, entre autres, dans le dos d’une de ses victimes.11 Il s’en est tiré impunément grâce à l’intervention de l’ambassade des États-Unis qui paya le prix du sang.

– Des tueurs en série et des obsédés sexuels arrêtés par la police pakistanaise et reconnus coupables par les tribunaux ont été libérés grâce à des règlements extrajudiciaires et des qisas.12 Dans un cas, un homme meurtrier de sa femme fit payer le prix du sang par ses enfants et fut subséquemment libéré.

Le prix du sang prescrit varie selon les pays. En Arabie saoudite, le tarif est actuellement le suivant :13

– 300 000 riyals si la victime est un homme musulman
– 150 000 riyals s’il s’agit d’une musulmane
– 50 000 riyals s’il s’agit d’un homme chrétien ou juif
– 25 000 riyals s’il s’agit s’il s’agit d’une femme chrétienne ou juive
– 6 666 riyals s’il s’agit d’un homme d’une autre religion
– 3 333 riyals s’il s’agit d’une femme d’une autre religion

L’obsession d’un État islamique peut sembler anachronique à certains. Le parti au pouvoir dans la province pakistanaise du Khyber Pakhtunkhwa a déclaré en 2003 que les examens par “ultrasons ou par électrocardiogramme effectués sur des femmes étaient de simples excuses pour voir leur corps et en tirer un plaisir sexuel.” On peut trouver d’autres exemples plus récents dans les décisions prises par le Pakistan’s Council of Islamic Ideology (CII – Conseil pakistanais de l’idéologie islamique). Entre autres :14

– L’abolition de la limite d’âge pour les filles. Les mariages avec des enfants sont en conséquence permis.
– Un homme n’a pas besoin de la permission de sa femme pour contracter un autre mariage, qu’il soit deuxième, troisième ou quatrième. Le CII note que l’Islam donne à la femme le droit de se séparer de son époux, mais qu’elle ne peut invoquer comme raison valide le mariage avec une autre femme.
– L’ADN ne constitue pas une preuve suffisante dans le cas d’un viol.

Une attitude plus souple est-elle possible ?

De nombreux passages du Coran sont sévères à l’égard des juifs et de l’idolâtrie. À leur lecture, il semblerait qu’une guerre perpétuelle devrait être menée contre le judasme, l’indouisme et le bouddhisme. Mais cette vision est contestée. Au risque d’être rejetés comme apologistes, certains théologiens musulmans importants ont cherché à comprendre l’Islam de façon à éviter cette conclusion extrême.

La logique moderniste est incarnée par l’érudit musulman, Fazalur-Rahman. Il souligne qu’on devrait tenir compte des asbab al-nouzoul (circonstances historiques entourant une révélation) lorsqu’on étudie tout verset coranique particulier. On doit distinguer, “l’Islam historique et l’Islam normatif”. Il souligne qu’une foule de révélations coraniques ont eu lieu “dans un contexte historique donné, quoique pas seulement”. Les musulmans doivent reconnaître la caractéristique essentielle de la révélation qui n’est pas destinée seulement au contexte spécifique dans laquelle elle a été faite, mais dans “l’intention du Créateur, de la voir transcender ce contexte historique donné”. Il précise que le Coran doit ressusciter des débris accumulés de la tradition, des antécédents, et de la culture du millénaire précédent.

Fazal-ur-Rahman résume ainsi sa méthodologie : “Dans l’établissement de tout ensemble de lois et d’institutions islamiques authentiques et viables, il doit y avoir un double mouvement : Le premier doit partir du traitement par le Coran de cas concrets – en tenant compte des conditions nécessaires et appropriées du temps jadis – et aller jusqu’aux principes généraux vers lesquels l’enseignement entier converge. Ensuite, à partir de ce niveau général, il doit y avoir un mouvement de retour vers la législation spécifique, qui tienne compte des conditions nécessaires et appropriées actuelles”.15

Du point de vue de Rahman, l’esclavage, la polygamie la jizya, les dhimmis, et les but-shikinee sont des anachronismes qui n’avaient de sens qu’au temps du Prophète. Ces arguments sont utilisés pour adoucir les dispositions du code pénal islamique telles que la peine de mort pour apostasie ou la lapidation pour adultère.

Les positions de Rahman sont semblables à celles d’autres penseurs libéraux musulmans comme Syed Amer Ali, Abul Kalam Azad, Asaf Ali Fyzee, Taha Hussain et d’autres. Mais sont-elles constitutives d’un Islam “correct” ou sont-elles une simple excuse ? Il est impossible de le dire. Mais ce que l’on peut dire avec précision c’est que la tendance précédente à l’acceptation de la modernité s’est effectivement renversée depuis les années 1970. Aujourd’hui, ce sont les littéralistes et les anti-pluralistes comme Maududi, Qutb, Hassan Al-Banna, et l’ayatollah Khomeini qui sont censés parler au nom de l’Islam.

Le blasphème – un instrument de contrôle clé

Si les tendances présentes se confirment, tout futur état islamique utilisera le blasphème comme instrument de contrôle indispensable pour éliminer les opposants, confisquer leurs propriétés et peut-être également leurs femmes. De par sa nature propre, le blasphème n’est pas un crime précisément définissable – Tout ce qui pourrait être interprété comme offensant potentiellement la religion entre dans cette catégorie. La preuve du blasphème n’est pas nécessaire et peut même ne pas être possible – Selon la loi islamique de la République du Pakistan, répéter ce qu’un blasphémateur aurait dit équivaut en soi à un blasphème. La redoutable section 295-C du code pénal prévoit la mort pour le blasphémateur.

En même temps, la loi sur le blasphème est une arme double tranchant. Ceux qui l’utilisent pour en accuser les autres peuvent eux-mêmes se retrouver au banc des accusés. C’est ce qui est arrivé à Junaid Jamshed au grand dam de ses fans.

Cette pop star pakistanaise devenue fanatique barbu, membre et propagandiste zélé du très conservateur Tablighi Jamaat, s’était servi de sa popularité de chanteur pour lancer une chaîne de boutiques féminines destinées à la crème de l’élite pakistanaise. Étrange voie pour un farouche misogyne qui prônait la fin des libertés dont pouvaient jouir les femmes et réclamait l’interdiction pour elles de conduire une voiture. Puis, un jour il fauta et devint lui-même, par inadvertance, la victime de la loi sur le Blasphème que lui et les autres zélateurs revendiquaient avec acharnement depuis des décennies.

En décembre 2014, lors d’une émission télévisée très populaire Jamshed joua une scène tirée d’un hadith dans laquelle Acha, la plus jeune des épouses du Saint Prophète, minaudait pour l’attirer en prétendant avoir mal à la tête. Aucun effet théâtral ne manquait. Le but recherché par Jamshed était de montrer que même la compagnie du Saint Prophète ne pouvait guérir la ruse des femmes. La plupart des spectateurs apprécièrent le spectacle, mais pas le rival en ultra- orthodoxie Sunni Tehreek qui vit là l’occasion d’attaquer Tablighi Jamaat qui pendant des années avaient attiré dans ses rangs ses membres séduits par une vocation encore plus orthodoxe. Des membres du Tehreek invoquant la loi 295-C, accusèrent Jamshed d’avoir blasphémé une compagne du Prophète. Le jour suivant, Jamshed, en larmes et se joignant les mains, fit à profusion ses excuses sur Facebook – en vain, puisque le blasphème est une offense impardonnable. Ses passages à la télévision, emplis de haine pour la lacité et les États laques ne l’empêchèrent pas de s’enfuir secrètement à Londres pour fuir ses frères en religion. On suppose qu’il n’a pas prévu de rentrer au Pakistan. Tout cela pose une grave question : Les musulmans seraient-ils mieux dans un État laque ou dans un État gouverné par la loi religieuse ? Une sérieuse réflexion pourrait modérer l’enthousiasme actuel de ceux qui courent après l’insaisissable utopie de l’État islamique.

Return of the caliphate, www.bbc.com/news/magazine-29761018.

Most Muslims want democracy, personal freedoms, and Islam in political life, Pew Research Global Attitudes Project, 10 juin 2012.

British Council : Pakistan facing 'frightenin' demographic disaster, The Telegraph, 20 novembre 2009.

Tribune survey : Online Pakistanis 'Muslims first', 'Pakistani second', Express Tribune, 16 février 2012.

Khilafat-o-Malookiat, Syed Abul Ala Maudoodi, Islamic Publishers, ND.

Between Muslim Nationalists and Nationalist Muslims : Mawdudi's Thoughts on Indian Muslims, Omar Khalidi, Institute of Objective Studies, New Delhi, 2004.

Alors qu'ils étaient étudiant à la King Abdul-Aziz University à Jeddah, Osama ben Laden et Ayman al Zawahiri furent initiés à la philosophie de Qutb par son frère Mohammad Qutb.

Sayyid Qutb's "Milestones" and Its Impact on the Arab Spring, Steven G. Zenishek, Small Wars Journal, 9 mai 2013.

Analysis -- Battle for Ameer-ul-Momineen, by Hassan Abdullah, Dawn, 6 décembre 2014.

Ibid.

Raymond Davis was acting head of CIA in Pakistan, The Telegraph, 22 février 2011.

Forced out-of-court settlements, qisas, allow murderers and rapists to go free, Dawn, 6 décembre 2014.

Muslim women cannot object to husbands' marriages, Dawn, 22 octobre 2014.

Islam, Fazlur Rahman, Chicago University press, 1979.

Published 1 June 2016
Original in English
Translated by Djamel Khellef
First published by NAQD 32 (2015) (French version)

Contributed by NAQD © Pervez Amirali Hoodbhoy / NAQD / Eurozine

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