Audrys Juozas Backis
Kulturos Barai
Eurozine
Kulturos Barai
2003-09-08
Renouvellement de l'identité culturelles de la nation lituanienne: Rôle de l'église
Dans l'Europe actuelle la question de l'identité nationale revêt une importance particulière, surtout dans les pays post-communistes, qui ont vu déferler au cours de ces dernières décennies une onde puissante de mouvements nationaux et même de conflits ethniques.
1. Pourquoi parler d'identité nationale et du rôle de l'église ?
La Lituanie fut la dernière des nations d'Europe à recevoir le baptême. Cependant l'inculturation de la foi fut couronnée de succès. Le calendrier liturgique se fondit harmonieusement avec l'ancien calendrier traditionnel lié aux saisons, ajoutant une signification nouvelle aux fêtes et coutumes existantes. En tous temps, la culture nationale et la foi ont été étroitement liés et entremêlés.
Après avoir adhéré au christianisme, l'Eglise comme la nation ont du faire face à de nouveaux défis. De multiples façons l'Eglise peut et de fait joue un rôle de renouvellement et de réforme de certaines expressions de la culture nationale. Ce rôle est important pour l'Eglise elle-même, car certaines traditions nationales peuvent être incompatibles avec le christianisme et pernicieuses, tandis que d'autres peuvent aider l'Eglise à résister à l'infiltration et à l'expansion du sécularisme.
L'identité nationale est un phénomène complexe. Assurément, c'est l'histoire qui joue le rôle principal dans la formation du sens d'appartenance à une nation et de l'identité nationale. En tous temps la culture nationale fait le lien entre les générations passées et celles à venir, forme le caractère d'une nation ainsi que ses traditions et coutumes.
2. Bref rappel des expressions de l'identité nationale lituanienne dans la dernière moitié du XIX° siècle
Dans la seconde moitié du XIX° siècle et jusqu'au début du XX° siècle, la nation était étroitement liée au monde rural. On assiste à une floraison de traditions orales, de chants populaires, de coutumes. Seul un petit nombre de jeunes doués de talents mais pauvres cherchaient à accéder aux études. Ceux qui réussirent à acquérir une culture intellectuelle devinrent les formateurs et promoteurs de la conscience nationale. Sous l'occupation tsariste, quand la langue lituanienne fut interdite, une génération de "colporteurs de livres" vit le jour. Ce furent pour la plupart de simples gens de la campagne, qui au risque de leur liberté et de leur vie diffusaient en cachette des livres en langue lituanienne imprimés en dehors du pays, enseignaient aux enfants l'écriture lituanienne. Souvent ces livres étaient cachés et même distribués dans les églises.
Les tableaux et la musique de Ciurlionis devinrent non seulement un motif d'orgueil national, mais leur renommée franchit les frontières. Les livres de prières et les récits pour enfants écrits et publiés par l'évêque Valancius, la poésie de l'évêque Baranauskas, l'oeuvre littéraire des prêtres Vaizgantas, Maironis , contribuèrent à créer et développer une authentique conscience nationale. Grâce à ces évêques et ces prêtres, l'Eglise catholique devint un facteur important pour une culture nationale d'empreinte européenne.
Pour le peuple des campagnes l'église était pratiquement l'unique lieu public où il pouvait se prononcer et prendre position sur les problèmes de la société. Pour cette raison les tensions nationalistes se manifestaient le plus souvent dans les églises. Ces conflits étaient souvent provoqués par des questions de langue, de chants et d'autres malentendus de caractère national, assez souvent provoqués et attisés par l'un ou l'autre prêtre. Malgré tout les hommes d'église constituaient ce nombre exigu de personnes cultivées, issues de la campagne, proche du peuple dont ils avaient la confiance. C'est pourquoi ils participaient d'une manière active à la vie culturelle de la nation.
Le sens de l'appartenance à une confession religieuse a été, me semble-t-il, la première expression de la propre identité. "Qui es-tu? Je suis catholique !" Les organisations religieuses telle l'association pour l'abstinence de tout alcool créée par l'évêque Valancius, furent les premiers groupement publics en Lituanie, auxquels ont participé les gens de la campagne. Des mains de l'Eglise beaucoup de coutumes chrétiennes sont passées dans la culture devenant patrimoine national. On pourrait dire que l'Eglise s'est trouvée aux sources de l'identité moderne de la nation et fut un facteur de stabilité et continuité, créant un esprit national respectueux des vertus naturelles et chrétiennes. Il faut cependant reconnaître que le nationalisme, en tant que mouvement d'action politique, n'a pas toujours fait preuve d'amour du prochain. Néanmoins l'identité nationale telle qu'elle existait dans la première moitié du XX° siècle, apparaît comme une prise de conscience d'appartenir à la fois à une communauté chrétienne et à un même peuple.
3. Sous le joug soviétique
La situation en Lituanie fut pire qu'en Pologne. L'occupation soviétique visait avant tout à faire disparaître le sens national. Par tous les moyens on s'efforça de supprimer l'idée d'une autonomie et souveraineté nationale. On chercha même à remplacer le mot "patrie" par la parole "terre d'origine" quand on parlait de la Lituanie.
La dimension religieuse présente dans la conscience nationale fut attaquée de toute part et défigurée. Par tous les moyens on chercha à opposer le nationalisme et le christianisme. On soulignait continuellement que ce furent les chevaliers teutoniques, ennemis éternels de la nation, à baptiser la Lituanie, allant jusqu'à prendre en dérision la figure de Jogaila. On cherchait activement à propager une nouvelle culture "spirituelle" qui devait substituer la foi chrétienne. On s'efforçait d'insinuer et de faire croire que la fréquentation du théâtre, des salles de concert était comparable à la participation à la messe du dimanche.
Beaucoup d'intellectuels de grande culture, furent déportées en Sibérie ou liquidés. A cause d'une urbanisation rapide, les gens venus de la campagne s'établir dans les grands immeubles des villes n'étaient pas en mesure de créer de nouvelles formes et expressions de la culture nationale, compatibles avec la vie dans une société urbaine. Dans de telles conditions, il devenait pratiquement impossible pour eux d'exprimer leur identité nationale et de la nourrir. Les gens venus du monde rural essayèrent de cultiver une culture ethnographique, qui dans leur nouvel environnement apparaissait artificielle.
Les formes d'expression du sentiment national se réduisirent à une position de défense. Les uns vivaient leur identité nationale comme opposition à la culture, à la langue et au mode de vie imposé par les forces étrangères. D'autres, s'appuyant sur le fondement de la culture catholique voulaient s'en servir comme autodéfense de la nation, oubliant la nature de la religion, car souvent il s'agissait de personnes n'ayant plus de lien avec l'Eglise (il vaut mieux que restent les "oeufs de Pâques" sans la Fête religieuse, plutôt que célébrer la Fête de Pâques sans les oeufs).
On ne peut passer sous silence l'apparition en cette période difficile d'un mouvement de résistance religieuse et nationale. La presse clandestine, la catéchisation en secret, la Chronique de l'Eglise Catholique, dont l'audace étonnait et faisait renaître l'espérance en Lituanie, mais parvenait aussi en Occident. Une abondante littérature religieuse et nationale, qui parvenait le plus souvent de Pologne, était traduite et multipliée à la machine à écrire par des religieuses et des laïcs et distribuée dans le pays.
Naissait ainsi une Eglise combattante avec la participation d'un bon groupe d'évêques , de prêtres et de laïcs. Malgré les arrestations, la prison et les déportations, cette lutte se poursuivit jusqu'à l'indépendance nationale .
La défense sincère et courageuse de la foi et de la nation contribuait à relever et renforcer la conscience du peuple, mais la foi elle même était dépourvue de conditions propices pour croître et s'inscrire dans le mouvement de renouveau de l'Eglise universelle.
On a beaucoup parlé et écrit sur l'action clandestine de l'Eglise catholique et son rôle dans la défense et le maintien de la foi et de la culture, c'est pourquoi je ne m'attarderai pas sur cette page importante de l'histoire de la nation.
Je voudrais cependant mentionner un autre lieu privilégié qui a sauvegardé la foi et l'esprit national, la famille. J'ai déjà fait mention des épreuves que la nation a supportées durant les années d'occupation. Néanmoins, malgré toutes les difficultés, un bon nombre de familles ont su transmettre à leurs enfants leurs convictions religieuses et nationales, allant contre l'éducation donnée à l'école et les idées et slogans diffusés dans les médias. Les parents et grands parents enseignèrent à leurs enfants non seulement les vérités de la foi, les prières et cantiques, mais aussi les chants et les traditions populaires. L'histoire falsifiée enseignée dans l'école soviétique, était rectifiée à la maison par un enseignement authentique de l'histoire de la Lituanie. De nombreux lituaniens se faisaient un point d'honneur d'obtenir, fut ce copiée à la machine à écrire, un exemplaire de l'histoire de la Lituanie de Sapoka (historien exilé)
Malgré toutes les belles initiatives, efforts et sacrifices, il faut constater, que les années du régime soviétique ont fortement atteint les esprits, dégradé les consciences, et amoindri l'identité religieuse et nationale.
4. Comment concevoir la nation aujourd'hui?
A l'aube de l'indépendance, quand toute la nation semblait si heureuse, unie, pleine d'énergie et d'enthousiasme , on avait l'impression qu'il suffirait de souffler les poussières pour que l'identité nationale et religieuse resplendisse dans toute sa beauté , auréolée de gloire pour toutes les épreuves subies.
Pour reconstruire la Lituanie indépendante, le plus souvent on prenait comme modèle "comme c'était avant la guerre".
Actuellement l'Etat et ses institutions, non sans l'influence et même la pression de l'Europe occidentale, prend forme et se développe selon les modèles de la fin du XX° siècle ou du début du XXI° siècle, tandis que l'identité nationale sous bien des aspects est restée telle qu'elle était au début du XX° siècle, à l'époque de la création du premier Etat moderne.
La partie de la population, qui au temps soviétique avait assumé une position d'autodéfense, s'attachant à maintenir des formes figées de nationalisme, inconsciemment parfois, s'oppose à la modernisation de l'Etat et aux nouvelles formes de la vie culturelle et sociale , et refuse une ouverture au monde.
Bien que les documents du Concile Vatican II aient été publiés et lus dès leur apparition, ils n'ont pas atteints la majorité des fidèles. Là où les prêtres n'ont pas su expliquer aux fidèles les réformes voulues par le Concile, celles ont été mal accueillies et même suscité des réactions contraires. Par exemple la réforme liturgique de la Veillée pascale ou la suppression de l'exposition du Saint Sacrement durant la messe. Ces changements ont été interprétés comme une atteinte à l'intégrité de l'identité religieuse et à la continuité de la tradition, parfois même comme une "trahison" nationale. On exhortait à ne pas introduire de changements afin de sauvegarder les coutumes nationales. Cela permet peut être de comprendre que les partisans de Lefebvre et de la langue latine trouvent des disciples parmi les secteurs plus nationalistes "Nous avons fait ainsi pendant des centaines d'années et Rome n'a pas d'instructions à nous donner"
Ne trouvant pas de points d'attache entre l'identité nationale et la vie d'aujourd'hui, une partie de la société tend à ignorer l'identité religieuse. Cette tendance est particulièrement nette parmi les fonctionnaires, les personnes du monde des affaires et des sciences appliquées , qui prennent leur distance d'une conception étroite de l'identité nationale ressentant de ses origines rurales et rapidement deviennent citoyens de l'Europe et du monde.
Un autre segment de la population se sent impuissant et perdu face à la rapide évolution des principes qui régissent l'économie. Ne réussissant pas à s'adapter à la vie d'aujourd'hui, ils pensent avec une certaine nostalgie à un passé, comble de misère et d'humiliations, mais qui leur offrait une certaine sécurité de vie. Cette manière de voir se fonde sur des considérations d'ordre social, le souvenir de la stabilité qu'offrait le système socialiste, mais on peut déceler une dimension nationale, le désir inconscient de revenir à la situation passée, quand les ennemis de la nation étaient évidents, la ligne du front bien définie. Aujourd'hui les périls surgissent de toute part, l'incertitude règne, que deviendra demain la nation.
De pareilles tendances creusent des divisions dans la société, opposent les uns aux autres, faussent les relations interpersonnelles, d'une manière incompatible avec une vision chrétienne de l'homme et de la société, car on coupe les racines de la fraternité et de la solidarité, on porte offense à la dignité la personne, trouvant facilement mille raisons pour mépriser, humilier les autres.
Toute personne a besoin de s'identifier à un groupe pour qu'elle se sente heureuse. C'est particulièrement important pour les jeunes. S'ils ne possèdent pas une claire identité culturelle, religieuse et nationale, ils à s'identifier à n'importe quelle autre culture ou succédané de culture, une culture de masse. L'église a ici un important rôle à jouer et se doit de chercher à offrir aux jeunes la possibilité de créer des communautés qui répondent à leurs aspirations profondes, dont le centre soit le Christ. Le Christ qui connaît, comprend et est ouvert aux recherches des jeunes, à leurs aspirations et est prêt à cheminer avec eux, comme avec les disciples d'Emmaus.
5. Importance de l'Eglise pour le renouvellement de l'identité nationale dans les conditions actuelles
L'Eglise a une expérience séculaire du sens et du fondement anthropologique de l'homme, de sa dignité, du droit naturel, du respect de la culture locale à travers l'inculturation, de la transmission des vertus naturelles.
Ce n'est pas en vain que le Saint Père et le évêques élèvent leur voix et ne veulent pas que la communauté de l'Europe devienne sans saveur, tiède - ni chaude ni froide - comme dit l'Apocalypse, une communauté abstraite soi disant humaniste, qui ne saurait servir de base aux différences culturelles entre les peuples. L'Eglise a l'expérience de deux mille ans comme garant du développement de l'identité nationale, de sa croissance et de l'échange des valeurs, car elle possède une Parole commune - Jésus Christ.
Comme l'a dit Jean Paul II "Là où la Parole de Dieu, même au milieu de tant de difficultés, pénètre en profondeur dans la conscience d'un peuple et est acceptée, elle détermine pour toujours la perception que ce peuple a de lui-même et de son histoire. En se mettant à l'écoute de la Parole de Dieu, la nation reconnaît sa vraie identité"(L'Osservatore Romano, 27 giugno 1986, p.5 ).
L'Eglise en participant au renouveau et renouvellement de l'identité nationale, la protège d'un aveugle replis sur soi, ou au contraire de l'incapacité de discerner ce qui élève ou abaisse l'homme. L'Eglise, en tant que conscience de l'humanité, s'efforce d'éduquer à la droiture de conscience que nous avons perdu.
La culture nationale est un processus dynamique. Dans le monde d'aujourd'hui il est indispensable de concilier la tradition avec les nouvelles conditions de vie, c'est-à-dire de créer une culture nationale vivante, qui repose sur la tradition héritée des générations passées, mais en même temps soit constamment renouvelée et assimilée. Au cas contraire, quand la "vieille" identité nationale pour diverses raisons ne peut être maintenue et qu'une nouvelle identité ne s'est pas encore formée, on court le risque d'une "crise d'identité".
L'apport de l'Eglise au renforcement de l'identité nationale est un médicament, ou pour le dire plus clairement un contrepoison contre les tentatives d'inventer de nouvelles religions de la nation: paganisme, catholicisme national, ou formes d'athéisme national. Car la nation n'a pas son dieu propre - Le Seigneur Rédempteur de l'homme regarde avec la même bienveillance toutes les nations et tous les hommes - même ceux qui ont momentanément, espérons-le, oublié que les nations sont un don que Dieu a confié à la créativité des hommes, pour qu'ils puissent mener une vie heureuse et pleinement humaine.